Autant en emporte le vent (1939)
Ma note : 7/10
Le 16 janvier est sorti Django Unchained, le 30 sortira Lincoln : ces deux long-métrages s’attardent sur la période pré-Guerre de Sécession et les problématiques d’esclavagisme qu’elle induit. Si comme moi vous trouvez qu’il fait trop froid pour aller jusqu’au cinéma, rassurez-vous, il est d’autres films qui permettent de découvrir « cette civilisation que le vent a emportée ». Chantons en coeur Let It Snow et plongeons-nous dans le classique de Victor Fleming !
SYNOPSIS
Nous sommes dans le Sud des États pas tout à fait Unis, à la fin du XIXème siècle. Scarlett O’Hara est amoureuse d’Ashley Wilkes. Malheureusement, il épouse une autre fille, Mélanie. Scarlett O’Hara, dès lors, ne cessera de tenter de s’en rapprocher, peu importe les circonstances politiques, peu importe les maris qui défilent et qui meurent, peu importe la décadence de sa famille et de son comté contre laquelle par ailleurs elle lutte dignement… Parallèlement, un autre homme entre dans sa vie, Rhett Butler. Cynique et arrogant, il ressemble plus à Scarlett que le sensible et rêveur Ashley. C’est le début d’un vaste et épique triangle amoureux à travers un morceau essentiel de l’Histoire américaine.
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CRITIQUE
Autant en emporte le vent, à la base, est un roman de Margarett Mitchell paru en 1936. Quand on y jette un coup d’oeil, on se demande comment l’équipe va bien pouvoir procéder pour en produire un équivalent filmique : d’une part, l’intrigue est d’une densité exceptionnelle, multiplie les sous-intrigues et les personnages secondaires ; d’autre part, une bonne partie de l’oeuvre littéraire repose sur les débats intérieurs de Scarlett. Comment déployer cette histoire sans que le film dure 48 heures ? Comment restituer dans un art audiovisuel ce qui n’est ni audio ni visuel ?
D’un autre côté, ce n’est pas très surprenant qu’une adaptation ait vite vu le jour. Le roman, déjà, s’est vendu par milliers et on voit tout à fait l’intérêt économique d’une telle démarche. En outre, à côté de sa dimension introspective, le livre contient tout un tas de passages picturaux, tels ces longues descriptions des paysages du Sud et de leurs couleurs ou ces développements délicieux sur les vêtements des jeunes femmes (Mitchell utilise le mot « crinoline » au moins une fois par page et c’est savoureux puisque c’est le plus beau mot de la langue française).
Mais ce qui m’a le plus touché dans le roman, c’est que l’auteure ose s’attarder sur un personnage tel que Scarlett O’Hara. Scarlett est volontiers égocentrique, démesurément orgueilleuse, elle n’a en plus ni lucidité ni culture. L’héroïne n’est pas du tout attachante et ce geste progressiste – « c’est bien connu, les femmes ne peuvent pas être des personnages aussi intéressants que les hommes, alors il faut qu’elle soient sympathiques pour compenser » dit sarcastiquement Tigrou de pErDUSA dans un récent article sur la série Girls – surprend dans ce roman américain de la première moitié du XXème siècle qui n’ose pas mettre de nom sur l’orgasme ou l’avortement quand il les évoque. De surcroît, Margaret Mitchell dépeint un univers où les femmes dirigent, à l’instar de la maison O’Hara où les vrais maîtres sont Ellen, la mère, et Mama, la bonne noire, tandis que Gérald, le père, est un vieux fantoche qui aboie sans jamais mordre. Autant en emporte le vent, un roman féministe ? À vrai dire, ce n’est pas la question.
Ce qui frappe avant toute chose dans l’adaptation de Victor Fleming, c’est que le visuel est rutilant. Le Technicolor est magnifique et les 4 milliards de dollars du budget ne sont pas utilisés en vain. Les plus belles séquences du film, d’ailleurs, sont celles qui affichent clairement la monnaie. Je songe notamment à ce moment où Scarlett, droite et fière, traverse une place où des blessés de guerre s’entassent par milliers. L’émotion est d’autant plus forte que ces milliers de gens ont vraiment été là, dans ce décor, au moment du tournage. Je veux dire par là qu’aucun effet numérique, à ce jour, ne peut chez moi surpasser l’émotion qui me vient quand je sens que le spectacle s’est réellement déployé devant la caméra entre le Action et le Coupez.
Pour en revenir aux problématiques d’adaptation, le film ne prend pas de parti très étonnant. En gros, il coupe les intrigues et personnages secondaires et condense le reste. Ce qui m’amène à me poser la question suivante : est-ce que le cinéma est un médium adapté à ce genre d’histoires ? Peut-on rendre l’évolution d’un personnage qui, sur le papier, se fait en plus de 1300 pages en maximum 4 heures ? Le film, très elliptique, coupe plein d’épisodes pour ne garder que l’essentiel et c’est contre-productif : puisqu’on n’a plus que les temps forts, où les personnages se déchirent et prennent des décisions, et jamais les moments de paix où ils auraient le temps de réfléchir, de grandir, on se sent vite désimpliqué. On n’est jamais avec eux, on ne suit qu’un échantillon, qu’un best-of de leur existence. Autant en emporte le vent échoue quand il s’agit de donner la sensation de temps qui passe et l’intérêt du spectateur en pâtit forcément. J’ai tendance à croire qu’une adaptation sous forme de série télévisée serait plus appropriée pour restituer l’immense travail de Mitchell. Un acheteur ?
Malgré tout, le film de Victor Fleming contient quelques vraies belles séquences quand il s’agit de mettre en scène l’individualisme tour à tour imbécile et héroïque de Scarlett. Je citais tout à l’heure la séquence où elle marche parmi les blessés : c’est, à ce titre, un moment génial.
Autre plan merveilleux :
C’est à ce moment que les invités apprennent que la guerre est déclarée. C’est la panique, tout le monde crie, court, saute sur son cheval pour gonfler au plus vite le rang des Sudistes… Scarlett, elle, continue sa petite promenade, perdue dans ses pensées, montant à contresens un grand escalier que tous les autres descendent.
Ainsi, Autant en emporte le vent regorge d’instants – ces deux exemples sont loin d’être uniques – qui restituent très efficacement la singularité de Scarlett O’Hara. Le souci, c’est qu’au-delà de ces dits instants, le film a l’air d’adopter totalement le point de vue erroné de Scarlett. Quand Scarlett fait un caprice, la musique – qui au passage est très agaçante par son omniprésence mal gérée – l’accompagne comme pour dire « ce qu’elle veut est légitime ». Alors que le film, quelques minutes plus tôt et quelques minutes plus tard, dit « elle a tort mais elle est grande dans sa manière d’avoir tort ». Cette ambiguïté trouve sans doute son origine dans le fait que le film n’a pas eu à proprement parler de cerveau : George Cukor a été viré de son poste de réalisateur en cours de route et remplacé par un Victor Fleming qui n’avait pas du tout la même appréciation de Scarlett que lui, de même que le scénario a connu tout un processus de réécritures multiples très laborieux. Il en reste que nous autres spectateurs ne savons pas trop comment nous placer face à ce portrait ambigu.
Si Autant en emporte le vent aurait gagné à prendre des partis plus secs, à couper plus vivement dans la matière romanesque, on ne peut pas contester son statut de classique et il faut avoir vu ce film, au moins pour comprendre la foule de pastiches et parodies auxquels il a donné lieu. La lecture du roman, cela dit, pour quiconque voudrait apprécier en profondeur les mouvements de la psyché de Scarlett, sera préférable.
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