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Filmosaure | December 30, 2019

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Les Amants du Pont Neuf (1991)

Gibet
  • On September 25, 2014

Review Overview

Note
10

Festin oculaire

Sortie (France): 16 octobre 1991

À sa sortie, Les Amants du Pont Neuf, le troisième long-métrage de Leos Carax, rediffusé par Arte début septembre, engendra la déception critique – pouvait-il en être autrement après le choc de Mauvais Sang ? – et un fiasco économique – eu égard au budget pharaonique pouvait-il en être autrement ? – tout ceci relève de l’injustice absolue : Les Amants du Pont Neuf est un très beau film.

À mon avis, l’échec critique des Amants provient de deux malentendus. Le premier : pour la critique française, les histoires sont les ennemies du vrai cinéma. Or, de tous les films de Carax, Les Amants est probablement celui qui est le plus manifestement narratif. Le récit est limpide, construit sans soubresaut, et les deux ou trois protagonistes évoluent – ou n’évoluent pas – de façon prévisible, d’autant plus que la trame apparaît au bout du compte comme une réécriture turbulente des Lumières de la Ville. De ce fait, c’est un film accessible, à deux doigts d’être populaire, et je pense que c’est en bonne partie ça que la critique ne lui a pas pardonné. Pourtant, Carax n’abandonne rien de ses ambitions cinématographiques sous prétexte qu’il s’affaire pour une fois à nous livrer une narration plus ou moins classique. C’est un film aussi inventif et plein de sève que Mauvais Sang ou Holy Motors, et peut-être davantage que Boy Meets Girl. Aurait-on, par rigidité intellectuelle, refusé d’aimer le film car il est trop facile à aimer ?

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Deuxième malentendu : Leos Carax filme des SDF, alors ce serait un film engagé, qui veut dire quelque chose sur les SDF. Ainsi, les détracteurs s’empressent de dénoncer ce bourgeois qui se donne bonne conscience en fabriquant un mélo clodo et les défenseurs, encore pire, prennent bien la peine de souligner que Leos Carax filme cette réalité « sans misérabilisme ». NON. Regardez ce film honnêtement, pour ce qu’il est. À aucun moment Carax n’a d’ambition documentaire, il s’en fout des clochards. Son geste consiste – je dirais même tout son cinéma consiste – à faire surgir des événements de chair, c’est-à-dire des événements qui arrivent à la chair filmée pour déclencher des événements dans la chair spectatrice. Il filme des SDF car, le corps sans cesse en alerte du fait de la faim, la fatigue, ils sont l’épicentre de ces événements. Les clochards sont, dans Les Amants du Pont Neuf, un prétexte pour produire du cinéma. Quand Carax prend l’initiative de filmer d’authentiques SDF au début du film, on voit bien qu’il s’en moque de la réalité. Il capte le Centre d’accueil de Nanterre et le bus qui y mène comme si c’était la Cour des miracles ou le Cirque Tetrallini, il ne garde que les corps excessivement fatigués, que les visages les plus déformés. Il est à la recherche de monstres car, par définition, c’est ce qu’il y a de plus fascinant à montrer. Préciser qu’il filme « sans misérabilisme », c’est partir du présupposé qu’il est là pour filmer la misère, et comme je viens de le dire, ça n’est absolument pas la démarche. Par ailleurs, poursuivre ici le parallèle établit plus haut avec Les Lumières de la Ville me semble assez fructueux : c’est amusant de voir comment Chaplin, qui pour le coup avait vraiment une ambition politique, ne montre que des pauvres tout mimis, à la crasse bien propre, quand Carax, qui a priori s’en fiche pas mal, affronte sans détour les horreurs concrètes de ce monde-là.

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J’ai du mal à concevoir qu’ayant aimé les autres films de Carax on ne se soit pas réjoui face aux Amants. C’est passionnant de voir à quel point Leos Carax est un formidable créateur d’univers et comment, après un Mauvais Sang parfait (dans le sens où c’est un projet esthétique abouti, avec un style ferme, du genre qu’on ne qualifie plus de « prometteur »), il parvient à se réinventer encore, comment il met son cinéma à l’épreuve du réel, comment sans rien sacrifier à ses exigences il se donne à une narration, comment il va chercher de la fraîcheur formelle dans le travail de matières premières incontrôlables, l’eau et le feu, parfois en même temps, comment il poursuit, sans répéter, son œuvre de fétichisation du visage de Binoche, autrefois sublimé, maintenant détruit, sali, virilisé.

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Synopsis

Alex vit à Paris, sur le pont Neuf, auprès de Hans, son vieux compagnon qui l’aide à trouver le sommeil en lui fournissant de la drogue. Leur vie tranquille est perturbée par l’arrivée de Michèle, une dessinatrice qui devient progressivement aveugle.

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