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Filmosaure | November 22, 2019

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Mauvais Sang (1986)

Gibet
  • On September 24, 2014

Review Overview

Note
9

Repas de fête

Sortie (France): 26 novembre 1986

Arte, plutôt que de faire comme nous et d’attendre passivement que Leos Carax daigne mettre en marche un nouveau projet, a programmé début septembre une petite rétrospective en deux soirées. Parmi les films choisis, il y avait Mauvais Sang, film probablement considéré comme le plus important du cinéaste.

Comment vous dire

Je ne saurais commencer cette critique autrement que par un aveu d’impuissance. Je ne sais pas quoi écrire sur Mauvais Sang. J’ai la plume désarmée face à cette forme de cinéma absolu. J’employais déjà un terme similaire pour qualifier Les Parapluies de Cherbourg il y a quelques temps – Mauvais Sang va beaucoup plus loin encore dans la démarche que j’avais décrite. Les Parapluies de Cherbourg sont, malgré la proposition formelle anti-naturaliste, cadrés par un récit balisé, en trois mouvements ; on assiste au début en sachant qu’on assistera à une fin et les personnages ont une autonomie en ce qu’ils ont une caractérisation bien claire.

Mauvais Sang est un film autrement plus capricieux. Il n’y a à l’œuvre qu’une logique de pur cinéma, oscillant au gré des élans du cinéaste, et dans laquelle tout est potentiellement prétexte à produire du septième art. Jamais rien de programmatique dans Mauvais Sang, Carax crée à sa guise des accidents, incorpore des digressions qui deviennent tout à coup principales. Le film est parfaitement imprévisible, tant dans les circonvolutions de son intrigue, que dans ses virages formels et ses changements de tonalités; il utilise exhaustivement tous les outils mis à disposition par le cinéma, sans jamais être systématique. Carax, en interview, abuse de l’expression suivante : « faire un film comme si c’était le premier et le dernier. » On comprend ce qui le pousse à en abuser quand on voit avec quelle fièvre il gère Mauvais Sang : on n’a pas le temps de faire un film moyen, un film petit, on va tout mettre tout de suite. Il est d’ailleurs impossible, et c’est très significatif, d’identifier dans quel ordre a été conçu le film : est-ce que tout cela est écrit ou spontanément créé dans le temps du tournage? La sensation parfois d’assister à la mise en images immédiate d’une idée fulgurante laisse croire que Carax s’est lancé dans le film « à l’inspiration », d’autant plus qu’il procède en surréaliste et fait fructifier les hasards quitte à annihiler toute manifestation d’intention. Mais, d’un autre côté, c’est absolument improbable qu’il soit parvenu à un objet si abouti sans avoir largement travaillé au préalable.

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Ce qui sidère, c’est qu’on sent que l’ambition de Carax, c’est de créer un film qui fonctionne comme une entité propre, comme une substance première uniquement régie par un mouvement interne qui ne nous sera peut-être jamais dévoilé, et qui, de ce fait, s’adresse à nos chairs. Comment rendre justice à cette expérience esthétique avec des mots, avec une analyse rationnelle ? C’est, comme dirait Gracq, « soumettre à la géométrie ce qui relève de la chimie ».

Dans Boy Meets Girl, le premier long-métrage de Carax, Alex dessine sur son papier peint une carte de Paris réduite à ses lieux clefs personnels  : «1er vol – 1968 – Librairie des jeunes», «1er mensonge à F., 13/3/81, Pont-Neuf », « Ma Banque »… Cette séquence, j’ai envie de la voir comme la proposition par Carax d’une méthode pour appréhender ses films. Il faudrait non pas en parler globalement, essayer de les faire rentrer dans des schémas, mais au contraire s’en emparer par l’intime. Dès lors, je ne parlerai que des deux éléments qui m’ont profondément ému, et qui resteront en moi longtemps comme l’empreinte essentielle du film.

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Deux ou trois gestes

« Tu mets un disque ? Vite, avant que la mélancolie s’empare de tout. Rien ne bouge plus. Comme si… Je me sens si… Les choses sont trop… – J’arrive pas à choisir. Je vais mettre la radio. J’aime bien la radio. Il suffit d’allumer, on tombe toujours pile sur la musique qui nous trottait tout au fond. Tu vas voir. C’est magique. Attention… Pas de chance. Donne-moi un chiffre, Anna. Au hasard. Vite, Anna, un chiffre. – Quoi ? – D’accord, trois. Un. Deux. Trois. Voilà, écoutons, et laissons-nous dicter nos sentiments. » J’ai pas de regrets de Reggiani – qui joue un rôle secondaire un peu plus tôt puis beaucoup plus tard dans le film, autrement dit Carax nous refait le coup de Ferrat dans le Vivre sa vie de Godard, mais notons-le bien, en beaucoup moins ostentatoire – retentit alors. Alex l’écoute sereinement en fumant sa clope sur le trottoir. L’animateur radio annonce Modern Love de Bowie. Au rythme de la musique qui s’apprête à décoller, Alex se met à courir dans sa rue rouge et noire, et explose quand la musique explose. C’est génial – assurément une des meilleures séquences de toute la filmographie de Carax, et peut-être en même temps une des choses les plus belles qu’on ait jamais fait au cinéma. Si vous n’avez jamais vu ça, l’extrait est en haut de la page.

Quand on voit cette séquence, on ne comprend pas pourquoi le cinéma ce n’est pas plus souvent ça, pourquoi tant de gens gaspillent leur énergie à faire des films qui ne leur tiennent pas spécialement à coeur alors que bordel c’est sûr là, un cinéma exigeant poétique vertigineux exalté incroyablement libérateur est possible. C’est comme si quelqu’un avait trouvé la recette du nectar divin et que quand même tout le monde continuait à boire du Red Bull.

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On entend souvent dire que le premier geste du cinéaste consiste à filmer le visage d’une femme qu’il trouve belle. Mauvais Sang est plein de ce geste. Les visages de Juliette Binoche et Julie Delpy sont sublimes, ce sont des aimants à lumière fardés de rose, des attrape-regards aux moues mythiques. Le plus beau, c’est que Carax filme ces deux quasi-inconnues comme s’il filmait Greta Garbo. L’encore plus beau c’est que ce faisant elles deviennent aussitôt Greta Garbo. Carax nous rappelle ainsi qu’un cinéaste a tous les pouvoirs, à partir du moment où il ose les prendre.

En outre, contrairement à la majeure partie des œuvres qui s’affairent à sublimer la femme, Mauvais Sang n’est pas particulièrement misogyne. Au départ, on frémit car la première phrase du film est : « Il le lui a dit, il lui a dit veux-tu. Elle n’a dit, ni oui, ni non, c’est une fille avec un garçon. » Ô femme éternelle adolescente, ô indépassable malentendu entre les genres! Mais au fil des séquences, on se rend compte que les deux femmes aimées sont les personnages les plus entiers et les plus loyaux du film, tandis que leur amant est volontiers retors et indécis. L’utilisation du Parce que version Gainsbourg à la fin est amusante. La chanson raconte l’histoire, classique, d’un type qui se plaint d’une fille qui joue avec son cœur, et c’est Piccoli, qui n’arrête pas depuis le début de tourner autour du pot avec une Binoche pourtant sûre de ses sentiments, qui finit par mener le chant. C’est comme si Carax nous disait en creux que toute cette veine revancharde de la littérature, qui commence à peu près aux amours de Catulle et dont Gainsbourg est l’héritier direct, était une pure fantasmagorie narcissique et phallocrate. C’est comme si, de surcroît, puisque Binoche se met avec les autres à chanter, gaiement, sans particulièrement se retrouver dans les paroles, Carax ajoutait que toute biaisée qu’elle est, cette veine peut produire des œuvres belles. Et si incommunicabilité il y a, ce n’est pas une incommunicabilité de XX à XY, c’est une difficulté générale à sortir du solipsisme.

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Regardez Mauvais Sang

Il n’y a qu’en expérimentant le film de vous-mêmes que vous comprendrez. Vous l’aimerez peut-être, ou peut-être pas. Mais ce ne sera pas du temps perdu, car ce n’est pas perdre son temps que de le donner à quelqu’un qui a tant besoin qu’on l’écoute crier.

Synopsis

Marc et Hans, deux vieux gangsters, se retrouvent le couteau sous la gorge, à devoir rembourser une dette auprès d’une usurière surnommée l’Américaine. Ils planifient le vol dans un laboratoire d’un vaccin contre une nouvelle maladie, appelée STBO, qui affecte les couples qui font « l’amour sans s’aimer ». À la suite de la mort de Jean, qui devait être l’élément central du coup, ils font appel aux talents de prestidigitateur d’Alex, son fils.

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