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Filmosaure | October 25, 2018

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Holy Motors (2012)

Gibet
  • On October 16, 2014

Review Overview

Note
9

Repas de fête

Sortie (France): 4 juillet 2012

Avant qu’Arte ne le rediffuse le mois dernier, j’avais déjà vu et revu Holy Motors, dernier film en date du cinéaste Leos Carax. Je comprenais l’engouement général et j’en aimais éperdument au moins la première moitié. Mais la magie du film dans sa totalité me résistait. J’ai essayé de le revoir, cette fois-ci mieux armé, nourri par un visionnage intégral de la filmographie de Carax, et aussi vierge que possible, purgé d’abord du flot de dithyrambes et d’analyses qui avait plu à sa sortie, et surtout en prenant en compte le fait suivant : Carax affirme que Holy Motors ne parle pas plus de cinéma que n’importe quel autre film.

Holy Motors gagne à ne pas être regardé comme une métaphore du cinéma. On se décrispe, on arrête de guetter du sens à chaque raccord. Mieux encore, ce qui peut y apparaître comme une lourdeur quand on voit en cherchant à tout prix un discours sur l’art septième, s’allège considérablement. La séquence avec Piccoli qui m’avait chaque fois assommé par son didactisme m’a paru beaucoup plus justifiée cette fois-ci. Qu’un type vienne caler un laïus sur la mort du cinéma au milieu d’un film qui est tout le temps l’incarnation de la mort du cinéma, ça irrite. Pourquoi formuler bêtement et sèchement ce que partout sans un mot on sent ? Carax nous prend-il pour des bûches, pour nous livrer son film avec mode d’emploi ? Que ce même laïus se déploie dans un film qui est autre chose que ce qui y est formulé, ça devient un peu plus intéressant. Mais du coup, de quoi ça parle, Holy Motors ?

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Honnêtement, je n’en sais rien. J’ai essayé de divaguer au hasard en priant pour tomber juste. J’ai pensé à un moment : les moteurs sacrés, ce sont nos corps ! Carax regrette la désacralisation du corps, induit par la banalisation récente de l’acte de filmer. Le corps caraxien, tout sacré qu’il est, n’est pas lisse. Il est beau car il est monstrueux, car il déborde de vie et, comme Carax est un fétichiste, plus il le malmène, plus il le trouve beau. Holy Motors n’est peut-être au fond qu’un laboratoire de tortures, conçus par Carax, pour les infliger à Lavant. Carax aime que la mécanique du corps soit apparente, alors il n’arrête pas de le mettre à l’épreuve : sexe acrobatique, courses effrénées, morts régulières, rencontre avec l’animal, surgissement du quotidien au milieu de la merveille et inversement… Suis-je le seul que ça intéresse encore ? se demande Carax pour de faux – il sait très bien que non. « Avant les caméras étaient plus grosses que nous, maintenant elles sont plus petites que notre cerveau » remarque Monsieur Oscar, un peu las, quand Piccoli lui demande des nouvelles. Cette réflexion, notons-le bien, questionne davantage notre rapport au corps, par le biais du cinéma, que le cinéma en lui-même. Ça change tout, à ce niveau, qu’aujourd’hui nous ayons des engins si petits et si pratiques qui permettent de capter tout notre corps, sous tous les angles. Si ça me chante, je peux dans deux secondes avoir un gros plan de l’intérieur de mes narines, une contre-plongée de mon ventre ou, avec un peu plus de flexibilité, une vue de mes entrailles. Avant ça, on n’avait pas un accès total et immédiat à sa propre chair. On était toujours un peu étrangers à son propre corps, comme transcendés par lui. Désormais on domine nos corps autant qu’il est possible de le faire. Comme la démocratisation des moyens de prise de vue charrie en même temps avec elle une certaine narcissisation de la société, on tend à nier le corps, qui devient pur objet, de la chair à Canon. On veut annihiler son animalité intempestive, qu’il soit comme un vêtement ou un accessoire. Or le cinéma de Carax a besoin que le corps soit sujet ! Holy Motors pleure car l’occident croit s’être réconcilié avec son corps, mais n’a fait que s’enfoncer dans la haine judéo-chrétienne de la chair. Au moment où j’ai atteint cette pensée, la bibliothécaire m’a ordonné de remettre mes habits et de ne plus jamais revenir.

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Et si Holy Motors, en fait, ne parlait de rien ? Monsieur Oscar agit « pour la beauté du geste ». Il se pourrait que le film soit totalement gratuit, que Carax ait dû s’opposer à l’interprétation officielle rapidement conçue par quelques critiques pressés – celle dont je parlais au début, Holy Motors comme métaphore du cinéma – car elle figeait le film dans une seule de ses possibilités. Si on observe bien la composition du film, la seule logique à l’œuvre semble être celle du collage surréaliste à partir d’un fil rouge clair mais pas net. Le film avance par coups de théâtre ou plutôt, car ce ne sont pas des effets d’intrigue, par coups de cinéma : Monsieur Oscar est manifestement un homme d’affaires très riche ; la séquence d’après, on découvre que son travail consiste à se déguiser en vieille SDF romani ; la séquence d’après, on découvre que son travail consiste aussi à faire la guerre et l’amour en motion-capture. On sent bien que Carax n’a pas agencé les séquences comme ça par nécessité de sens ou de récit, mais qu’au contraire il a choisi l’ordre le plus frappant, qui faisait passer le corps du comédien aux extrêmes les plus brutaux. Et quand Carax se demande s’il existe encore des spectateurs, c’est qu’il ne sait pas si quelqu’un saura apprécier ce collage pour ce qu’il est concrètement, une suite aléatoire d’événements de chair. Les chronotographies de Marey, qui ponctuent le film, sont là pour nous rappeler qu’à une époque on s’émerveillait de voir purement et simplement un homme marcher. Quant au reste, peu importe. Libre au spectateur de créer, ou non, du sens avec la matière à disposition.

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Holy Motors est un prodigieux festival de formes, dans lequel Carax nous rappelle toutes les cinq secondes, sans forcer, qu’il est un créateur virtuose d’univers cinématographiques ; il ne vous reste plus qu’à voir le film pour vous amuser à lui choisir un fond.

 Synopsis

De l’aube à la nuit, à l’arrière de la Limousine blanche conduite par la longue et blonde Céline, monsieur Oscar voyage de vie en vie à travers Paris. Tour à tour grand patron, meurtrier, mendiante, créature monstrueuse, père de famille, tel un tueur consciencieux, il va de gage en gage.

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