Le Système de Ponzi (2014)
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Note
8Cet été, du 19 juin au 7 août, tous les jeudis, Arte propose une alléchante Collection Théâtre. Au programme, des captations évidemment, mais aussi et surtout des créations et recréations de mises en scène récentes par quelques uns de nos cinéastes les plus intéressants – Valérie Donzelli et son Que d’amour ! laissaient place en seconde semaine à Dante Desarthe et son Système de Ponzi, d’après la pièce éponyme de David Lescot.
On ne retrouve pas précisément pour Le Système de Ponzi le même dispositif de production que pour Que d’amour ! S’il entre dans une logique similaire de mise en valeur de la création théâtrale contemporaine, en adaptant une pièce créée il y a à peine deux ans, il semble que la fabrication du Système de Ponzi ait été moins contrainte. Desarthe d’abord n’a pas eu à choisir parmi le catalogue de la Comédie-Française, et donc pas à composer avec les comédiens de la Comédie-Française. En outre, il n’a pas eu à reconduire précisément la distribution : sur scène, Lescot avait fait le choix de donner plusieurs rôles à chaque comédien ; dans le film, Desarthe n’a pas repris le procédé, probablement parce qu’il est trop théâtral.
Arte aurait donc laissé le champ libre à Dante Desarthe ? Pas tout à fait : il reste la contrainte du petit budget. Et c’est une contrainte ô combien significative dans la mesure où Le Système de Ponzi, sur le papier, est une fresque historique, qui commence en Italie, finit au Brésil, se déploie en son milieu aux Etats-Unis, et court des années 1890 aux années 1940.
Face au manque de moyens, Dante Desarthe ne cille pas. Il conçoit une Amérique de pacotille toute en rétro-projections, images d’archive et recours exclusif à la langue française, mais – c’est là que ça devient vraiment intéressant – assume à fond l’artificialité des procédés. Par exemple, l’utilisation du français englobe tout l’univers. Les écriteaux publics, les journaux, la paperasse – tout est écrit en français. Cela étonne car nous sommes habitués aux reconstitutions dans lesquels, alors que les personnages communiquent dans la langue du pays de production, le monde autour d’eux parle la langue du pays reconstitué. Étrange convention, jamais franchement questionnée, que Desarthe dépasse par encore plus de convention.
L’artificialité manifeste du Système de Ponzi est très fructueuse. D’abord, une reconstitution, par définition, c’est toujours raté. Quelle que soit la précision avec laquelle on s’y attelle, quelle que soit l’efficacité de celle-ci au temps T où elle est conçue, le fait est que la reconstitution échoue systématiquement à nous donner accès au monde représenté, et nous en révèle davantage sur le présent de ceux qui l’ont conçue que sur l’ère en question (de même, on pourrait faire une histoire des mentalités via les représentations du futur dans les œuvres d’anticipation). Lors de petites recherches sur les coiffures féminines dans les westerns, j’avais pu constater que celles-ci sont à 90% en adéquation avec la mode de l’époque du tournage. En somme, la question, pour les réalisateurs, n’est pas d’être objectivement réaliste, mais plutôt d’être réaliste à l’intérieur d’une certaine codification tacite, suggérée par l’époque. Le Système de Ponzi échappe je pense à cela car l’Amérique de Desarthe ne vise pas à incarner une Amérique d’archive, mais à retrouver l’Amérique des films noirs américains classiques, à commencer par ceux de Billy Wilder. Encore une fois, Desarthe triomphe en étant tout à fait honnête sur la fausseté de son film.
Le Système de Ponzi ne donne pas pour autant dans le petit jeu pour cinéphiles. Les clins d’œil au cinéma classique américain sont diffus, c’est une question d’atmosphère générale, plus que de références précises à tel ou tel film, tel ou tel cinéaste. En outre, à tous les moments, la forme est au service absolu du récit. C’est un film de faussaire qui raconte l’histoire d’un arnaqueur – idéal ! Et le plus fort, c’est qu’alors même qu’on sait pertinemment que Le Système de Ponzi a été tourné hic et nunc, on adhère rapidement à l’histoire, on se passionne pour la vie tumultueuse de Charles Ponzi – on y croit. Le film est à l’image de son héros : il a beau être flagrant, on n’arrive pas à s’empêcher de croire en son mensonge.
J’ai également le sentiment que par ce geste, Desarthe nous permet de voir un peu par les yeux de Ponzi. Ponzi est bercé d’illusions typiquement américaines, il se rêve en self-made-man prospère. Le film s’amuse à détourner une certaine esthétique du biopic hagiographique, en multipliant par exemple les faux départs – à plusieurs reprises, Ponzi croit avoir trouver LA bonne idée, croit saisir enfin le kairos qui le transformera en personnage historique, et se ramasse aussitôt. Le décalage entre le rêve de Ponzi et la réalité de Charles se ressent très bien justement dans cette dissonance entre réalité représentée et fantasme de cinéma. Ponzi serait un héros de cinéma qui n’arrive jamais à être à la hauteur de son film. Ainsi, on comprend ce qui meut le personnage, il est irrésistiblement tendu vers la concrétisation du mythe – mais il se ment, comme il ment à tout le monde. Au final, on ne hait pas Charles Ponzi, il n’est qu’une sorte d’idiot astucieux.
On regrettera de fait que la conclusion du film soit, par principe anti-libéral, si fermée. On nous lâche après quelques dernières répliques qui ne laissent plus aucun doute quant au cynisme éhonté de Charles Ponzi. Non que j’adhère à la vision du monde de ce sinistre escroc, mais il me semble plus stratégique, puisque la démarche s’avère finalement politique, d’inciter le spectateur à la réflexion plutôt qu’à l’indignation.
La Collection Théâtre d’Arte permet encore, dans sa deuxième semaine, l’affirmation d’un cinéaste. Je crois voir depuis le départ chez Dante Desarthe un goût pour les classiques américains, en particulier pour les enchevêtrements infinis d’intrigues de screwball comedy et pour la férocité rigolarde que peuvent avoir les grands cinéastes hollywoodiens à l’égard d’Hollywood – cette fois-ci, comme Boris Vian quand il se déguisait en Vernon Sullivan, il a pu se plonger entièrement dans l’Amérique.
Synopsis
Grandeur et décadence de Charles Ponzi, inventeur au début du XXème siècle de la première escroquerie financière moderne, qui inspira Bernard Madoff.
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