Que d’amour ! (2014)
Review Overview
Note
9Cet été, du 19 juin au 7 août, tous les jeudis, Arte propose une alléchante Collection Théâtre. Au programme, des captations évidemment, mais aussi et surtout des créations et recréations de mises en scène récentes par quelques uns de nos cinéastes les plus intéressants – c’est Valérie Donzelli qui ouvre la marche avec Que d’amour ! adaptation libre du célèbre Jeu de l’Amour et du Hasard de Marivaux.
Mode d’emploi
Pour bien comprendre l’intérêt du projet que voici, il faut savoir que Valérie Donzelli, à l’instar d’Arnaud Desplechin – son film, La Forêt, d’après la pièce d’Alexandre Ostrovski, sera diffusé le 10 juillet – et Vincent Macaigne – le sien, adaptation du Dom Juan de Molière, ne sortira qu’à l’automne ; on l’imagine fatigué, rongé par le doute derrière son banc de montage, suppliant Arte d’obtenir un délai – a eu à créer en se frottant aux contraintes suivantes :
1) la pièce choisie doit avoir été représentée à la Comédie-Française ces trois dernières années ;
2) le casting doit en reprendre tous les comédiens, sans modifier la distribution – ce qui ajoute une contrainte supplémentaire dans la mesure où la plupart des comédiens ne devaient pas trop s’éloigner de leur lieu de travail pour pouvoir y représenter le soir ;
3) l’adaptateur ne doit pas ajouter un seul mot au texte de l’auteur – notons que c’est la contrainte qui semble avoir été pour les trois cinéastes la plus difficile à respecter – Donzelli s’empresse de la contourner en ajoutant une quantité de verbe assez importante en off et à l’écrit, de même que, parait-il, Macaigne a décidé de rajouter des répliques en anglais ; par ailleurs, il semble permis de couper autant de texte que souhaité (si ce n’est pas le cas, Donzelli est une grosse tricheuse !) ;
4) le tournage doit avoir lieu en deux semaines, avec un budget très réduit et un temps de préparation limité, et c’est pour ne pas dire nul.
Merci Arte
C’est une belle proposition que celle-ci : elle contrevient à tout ce qu’il peut y avoir de pesant et de fastidieux dans le mécanisme cinématographique. Tous ces réalisateurs qui passent plusieurs années à concentrer la totalité de leur énergie pour faire émerger un seul projet sont héroïques, et je suis ravi qu’Arte prenne l’initiative de donner une occasion à nos petits cinéastes de tourner pour une fois vite et bien.
Avec Que d’amour !, on se rend compte en plus que ça n’est pas qu’une bonne idée théorique. En pratique, la proposition s’avère aussi pour l’instant très fructueuse. Valérie Donzelli arrivait au bout d’un système avec Main dans la main, son dernier long-métrage. Le film partait d’une belle idée – deux inconnus se retrouvent liés par une force extérieure qui les contraint à reproduire instantanément les faits et gestes de l’autre – qui ménageait quelques jolies fulgurances burlesques mais s’égarait dans une vision assez fouillis, où le mélange des tons habituel se montrait relativement inopérant. Main dans la main donnait l’impression que Donzelli ne savait plus vraiment quoi dire, mais qu’elle avait toujours des manières de le dire. Le jeu de l’adaptation, au contraire, lui offre l’opportunité de se décharger du scénario pour se concentrer sur la forme. On pense à ce propos à Resnais qui fuyait allègrement l’idée de scénario original, comme pour éviter de gaspiller son énergie dans la nécessité du récit et du propos. Pour cette raison, on sent dans Que d’amour ! un gentil détachement, inédit dans le cinéma de Donzelli. Pour cette raison, Que d’amour ! est peut-être le meilleur film de Donzelli à ce jour, car ce petit détachement est résolument attachant.
L’autre excellent parti-pris imposé par le cahier des charges est le recours aux comédiens de la Comédie-Française. Quel plaisir de voir ces acteurs si précis et si humbles s’amuser avec le texte tailladé de Marivaux et les jeux visuels de Donzelli ! Sans eux, sans leur tact, je crois bien d’ailleurs que certaines des fantaisies de la réalisatrice ne passeraient pas. L’idée par exemple de coller des costumes en carton-pâte aux personnages, dès lors qu’ils sont dans la dissimulation, aurait facilement pu être très lourde et stérile – trop systématique. Mais la troupe aborde ça avec un tel naturel que ça devient organique, qu’on ne sent jamais le côté un peu plaquée qu’aurait pu avoir l’idée.
Tout ceci est d’autant plus délicieux pour ma part que je ne connaissais aucun de ces comédiens, et que j’avais de fait le sentiment en regardant Que d’amour ! d’observer l’émergence subite d’un troupeau d’acteurs brillants sorti de nulle part – un nouveau pan culturel qui tout à coup s’ouvrait en rayonnant ! Alors je le dis : le travail de Donzelli, à ce sujet, relève du devoir. En marche, cinéastes, il faut capter ces beaux corps en action – à tout prix ! Sans ce travail, comment savourer Suliane Brahim, Noam Morgensztern, et tous les autres, quand on n’a pas accès à la Comédie-Française ? Et quelle trace en garderions-nous, pour quand l’hiver sera froid et qu’on aura besoin de beauté ?
Merci Valérie
Au premier visionnage, je n’étais pas sans réserves. Notamment, je trouvais l’utilisation des cartons et voix-off parfois forcée et même, à quelques occasions, parasite. Mais Que d’amour ! est de ces films dont on tombe doucement amoureux et bientôt je l’avais vu deux fois supplémentaire, ces petits défauts se noyant dans la masse des grands bienfaits. C’est la quintessence du style de Donzelli dans tout ce qu’il a de plus frais, de plus pur, de plus fantaisiste et de plus doux.
Que d’amour ! à mes yeux n’est pas seulement une bonne réécriture de Marivaux, c’est aussi un équivalent filmique bien plus réussi pour la première moitié de L’Écume des Jours que tout ce qu’a vainement tenté le pauvre Gondry dans son adaptation volontaire. Il y a ici l’innocence, la sensualité (les soins caressés de Lisette à Silvia ne sont pas loin des badinages lesbiens enfantins de Chloé et Alise), la forme ludique qui ne se force pas à l’être – et on tombe amoureux parce qu’on veut l’être car avant tout on est amoureux de l’amour. Car oui, Que d’amour ! croit en l’amour. Donzelli trahit Marivaux, mais c’est tant mieux. Si j’admire sa langue, le regard que Marivaux porte sur ses personnages me paraît beaucoup trop malveillant. Qu’ils sont bêtes ceux-là, de ne pas voir que l’amour, le hasard, sont des décorations de l’esprit pour enrober les déterminismes et la nécessité de la perpétuation de l’ordre social… Par son réaménagement, Donzelli annihile, sans pour autant donner dans la bluette, cette part de cynisme et nous montre avec gaieté quatre petits êtres adorables tomber amoureux les uns des autres.
Synopsis
Silvia, fille de Monsieur Orgon, craint de devoir se marier avec un jeune homme qu’elle ne connaît pas. Lorsque s’annonce celui qu’elle doit épouser, Dorante, elle change de costume et de rôle avec Lisette, sa femme de chambre, afin de pouvoir étudier plus à son aise le caractère de son prétendant sans se compromettre. En même temps, Dorante, qui partage ses craintes, échange son identité avec son valet, Arlequin.
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