Nymphomaniac – Volume 1 (2014)
Review Overview
Note
5Le festival Premiers Plans d’Angers, dans le cadre de ses rétrospectives, a diffusé l’intégralité de la filmographie de Lars Von Trier. Alors, Nymphomaniac, provocation stérile ou chef-d’œuvre de subversion ?
Sous réserve que le director’s cut de 5h30 ne change pas radicalement la donne, le volume 1 de Nymphomaniac nous permet rapidement de répondre : ce ne sera ni l’un ni l’autre. À l’endroit où attendait, puisque c’était ce qu’annonçait l’agressive promo, un gros brûlot sadien défiant hardiment toutes les limites imaginables de la morale et du cinéma, on a en fait, et de loin, le film le plus classique – et donc probablement le plus inoffensif – de toute l’œuvre de Trier.
Rien ici ne déroute : le dispositif narratif n’est pas nouveau (A raconte sa vie à B, laquelle nous apparaît par une série de flashbacks enrobés de voix-off), la photographie, le son et le cadrage sont globalement lisses, le ton plutôt léger, le rythme soutenu, le jeu sans envolée… Lars Von Trier ne semble pas avoir cette fois-ci pour projet de nous retourner la cervelle, et pour cause !
Ce qui surgit au bout de quelques minutes du métrage, sans cessé stoppé dans sa narration par des digressions diverses mais toujours savantes sur la pêche, l’éthique ou les beaux arts, c’est que l’ambition de Trier dans Nymphomaniac est romanesque. On a l’impression de lire Balzac ou Hugo, ces deux-là n’hésitant pas à insérer trente pages très rigoureuses sur l’architecture ou l’économie au milieu de leurs récits – parfois par simple goût de l’érudition, parfois par une ambition plus haute de produire un roman « total », parfois aussi peut-être pour tirer un maximum de lignes d’un unique sujet (il ne faut pas oublier qu’ils écrivaient pour manger !). La quantité de références est la même que dans tous ses autres films, mais Trier choisit pour la première fois de tout mettre à jour. Comme si dans Melancholia, Trier coupait l’introduction pour expliquer au milieu qu’il l’a fait en pensant à Tarkovski, que la peinture de Brueghel est géniale parce que ceci, que la musique de Wagner est grandiose parce que cela, et stoppait le film au milieu pour préciser qu’il a réutilisé pour la relation entre les sœurs certaines dynamiques des Bonnes de Genet. De cette façon, Trier fait un pas de plus dans la recherche d’un équivalent cinématographique au roman, recherche à laquelle Kechiche semblait déjà largement s’affairer dans La Vie d’Adèle, qui traversait 10 ans en 3 heures et affichait explicitement sa filiation avec La Vie de Marianne de Marivaux.
Sur ce plan, Nymphomaniac – Volume 1 est extrêmement cohérent – les plus sensibles à la lettre auront remarqué l’astuce typographique qui consiste, sur les affiches et dans le film, à remplacer le o de nymphomaniac par des parenthèses qui en même temps évoquent le sexe féminin et la digression – et on regrette que les producteurs aient décidé de couper 1h30 de matière, tant ce choix contredit l’ambition première du film.
La limite de ce parti-pris – car il y en a une – c’est que cette écriture romanesque s’avère peu féconde en idées de cinéma. Je m’explique : dans Dogville, par exemple, le recours au procédé théâtral de distanciation produit quelque chose de nouveau audiovisuellement. Ça donne un objet filmique inédit, qui au bout du compte n’a plus rien à voir avec le théâtre. Dans ce premier volume de Nymphomaniac, au contraire, les effets romanesques n’arrivent jamais à se débarrasser de leur essence littéraire.
Ainsi, à la fin de ce premier volume, Seligman, le vieil homme qui recueille et écoute la nymphomane tout du long, explique ce qu’est la polyphonie ; Joe, ladite nymphomane, séduite par le concept, prend trois de ses amants et les compare à chacune des trois parties du morceau polyphonique en question. L’idée en elle-même est amusante, ludique. Le souci, c’est que visuellement ça donne juste un split-screen tout con, tout plat, tout moche, sans harmonie, sans interaction ni écho entre les trois parties du triptyque ainsi formé. Trier, dans ce cas, abandonne tout sens de la composition visuelle car il s’applique bêtement à mettre en image sa petite idée. On entre dans le domaine de l’illustration, on cesse d’être dans celui de la création. Et ces mises en image sont souvent tellement littérales – Joe se compare à une grenouille, Trier filme une grenouille ; Joe compare son vagin à une porte automatique, Trier filme une porte automatique ; Seligman parle d’envolée, Trier filme un avion dans le ciel… – qu’on a l’impression d’être pris pour des immenses teubés incapables de recevoir comme il se doit la moindre métaphore.
C’est d’autant plus crispant que ces exercices d’illustration prennent énormément de temps : on devine, pour en revenir à l’exemple de la polyphonie, dès que Zeligman a fait son laïus, comment Trier va réemployer l’idée dans la partie narrative. Autrement dit, pendant 20 minutes, on attend qu’il ait fini. Personnellement, je ne vais pas voir des films de Lars Von Trier pour savoir ce que je vais voir 20 minutes à l’avance. Nymphomaniac – Volume 1 fonctionne à double vitesse : ça n’est jamais réellement ennuyeux car ça va assez vite, mais ça n’est jamais réellement exaltant car ça va trop lentement.
Ça n’est même pas fructueux sur le plan de la fiction car les rôles de celui qui raconte et de celui qui digresse sont figés. Au début, Zeligman compare la séduction à la pêche – parallèle qui en lui-même n’est déjà pas hyper subtil – et il le fait systématiquement pendant un quart d’heure. Joe raconte un moment de sa vie, il dit « ah oui, c’est comme la pêche car… ». Pendant un quart d’heure. Autant dire qu’on a compris le principe à la première phrase, et que tout ce qui suit ennuie. Autant dire que pendant ce long quart d’heure on prie pour que Joe lui fasse remarquer qu’il est lourd et qu’il devrait la fermer. Eh bin non. Elle l’écoute sans mot dire, aussi peu intéressant soit-il. Trier, en bref, ne se sert même pas de ces moments pour affiner les personnages et leur relation.
Quelques phrases tirées de Dogville permettent de comprendre ce qui n’a pas fonctionné dans l’élaboration de Nymphomaniac : « Il aborda affreusement mal ce sujet pourtant évident. Pour pallier son manque de préparation, Tom utilisa sa technique de digression habituelle. » Lars, sois honnête avec nous : on ne t’a pas laissé le temps de finaliser ton script, c’est ça ?
Lire la critique de Nymphomaniac – Volume 2
Synopsis
Nymphomaniac – Volume 1 contient les cinq premiers chapitres de l’autobiographie de Joe, nymphomane auto-diagnostiquée, telle qu’elle la raconte à Seligman, vieux juif célibataire qui l’a recueillie.
Comments