Voyage à Tokyo (1953)
Review Overview
Note
6Voyage à Tokyo, ressorti en salle ce mercredi dans une version restaurée, est le premier film de Yasujirô Ozu que, en 1978, la France ait pu découvrir. À cette époque, on s’empressa de crier au génie et, depuis, Voyage à Tokyo a l’aura des chefs-d’œuvre. Et si nous avions été aveuglés par la nouveauté ?
Dès les premières minutes de Voyage à Tokyo, on retrouve notre bon vieux Ozu. Les cadres sont minutieux, les motifs en présence – les hommes boivent mélancoliquement, les femmes tâchent dignement de tenir la barre, les jeunes et les vieux essaient de s’accorder – ne surprennent pas, et les problématiques, comme à l’habitude, typiquement japonaises – ici la coupure nette entre campagne et ville qui entraîne la coupure nette entre parents et enfants – renvoient à des thématiques facilement universalisables. Je dis « on retrouve » car je me place de mon point de vue de spectateur qui a déjà les clefs de cet univers et s’y oriente sans souci, mais qu’on se place un instant derrière les yeux des petits français, vierges d’Ozu, qui découvrirent Voyage à Tokyo au cinéma dans les années 70 : sa mise en scène est puissante et singulière, on ne peut qu’être impressionné quand on s’y immerge pour la première fois.
Hélas, a posteriori, on se rend compte que Voyage à Tokyo n’est pas un si grand Ozu que cela. Si le recul engendre quelque plaisir (c’est savoureux par exemple de voir Chishu Ryu incarner un rôle de père similaire à celui, entre autres, de Il était un père (1942) et du Goût du saké (1963), comme si la filmographie d’Ozu n’était en fait qu’une seule et grande saga), il nous permet surtout de constater que la sauce ici ne prend jamais vraiment. Comment est-ce possible ?
D’une part, c’est purement subjectif et j’ai conscience de ma futilité, j’ai tendance à préférer la période couleur du cinéaste. Ozu fait des choses tellement belles quand il a, pour sublimer ses compositions, toute la palette des couleurs que lorsque je retourne à ses films noir et blanc, mon œil s’ennuie poliment.
D’autre part, et là c’est beaucoup plus grave, l’écriture est grossière. Comme cela arrive rarement chez Ozu, on a un scénario manichéen, avec d’un côté des méchants qui seront punis, et de l’autre des gentils qui seront récompensés. Il y a de belles idées, c’est incontestable – les enfants, notamment, font visiter les coins touristiques à leurs parents, les embarquant dans des excursions impersonnelles, alors que les parents venaient au contraire pour un contact intime – mais elles sont ruinées par un propos très fermé. L’échec provient du fait qu’Ozu plaque un propos sur une situation qui serait mille fois plus belle s’il essayait d’en rendre la complexité par l’objectivité (autrement dit par l’étude de toutes les subjectivités).
Dans Voyage à Tokyo, les jeunes sont systématiquement odieux (et plus on descend dans l’arbre généalogique, plus c’est grave : les petits-enfants sont invivables !), et les vieux sont de pauvres victimes débonnaires et humbles, qui ne se plaindront pas, malgré toutes les méchancetés qu’on leur fera subir. On ne croit jamais à ces personnages, et on s’ennuie. Ozu condamne et récompense d’avance, et on ne participe pas avec lui à la remise des prix. Pourquoi n’a-t-il pas tenté de justifier la maladresse des enfants ? Pourquoi n’a-t-il pas non plus questionné la fausse sérénité molle des parents ? On a parfois reproché à Ozu ses excès réactionnaires – avec Voyage à Tokyo on comprend pourquoi : le présent n’a pas sa chance, il est mauvais d’emblée.
Synopsis
Shukichi Hirayama et Tomi, sa femme, sont deux campagnards retraités ; au début du film, ils entreprennent d’aller visiter leurs enfants, à Tokyo. À l’occasion de ce voyage, ils découvriront à leurs dépens que leurs fils et filles sont désormais, légèrement ingrats et cyniques, exclusivement absorbés par la cadence de leur quotidien.
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