Le goût du saké (1963)
Review Overview
Note
8Quelques mois après le tournage du Goût du saké, Yasujirô Ozu, cinéaste japonais le plus emblématique avec Akira Kurosawa, meurt d’un cancer – ce sera son dernier film. Ozu rejoint-il ainsi la constellation des grands cinéastes qui s’éclipsent sur un film mineur ou bien vient-il fournir les rangs beaucoup moins épais des réalisateurs qui partent en nous laissant un dernier chef-d’œuvre ? Mesdames et messieurs, je vais accomplir, devant vos yeux, une prouesse et parler du Goût du saké sans employer l’expression « film-testament ».
On ne connaît que trop bien ici les facéties de nos traducteurs et distributeurs : quand on s’attaque à un film japonais apparemment intitulé Le goût du saké, notre premier réflexe est de penser que ce n’est pas le titre véritable. Et effectivement, littéralement, le titre original signifie “Le goût du congre”. Malheureusement pour ce pauvre congre, son évocation ne fait pas tinter dans l’esprit français tout le folklore japonais et on lui aura préféré le saké. Au moins, ce choix d’adaptation est compréhensible – en anglais, le film s’appelle An autumn afternoon alors qu’il ne se passe pas particulièrement ni en automne ni l’après-midi.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’univers d’Ozu n’est pas immédiatement accessible, surtout pour un spectateur qui, comme moi, n’y aurait jamais fait d’incursion prolongée. Bien sûr, la composition des plans et le travail sur la couleur est remarquable et il séduit d’entrée de jeu mais cette mise en scène très précise et marquée a aussi pour effet de nous mettre à distance et de ralentir l’adhésion.
L’adhésion n’est pas d’ailleurs pas seulement parasitée par cet élément. Parmi les ingrédients dépaysant, on peut aussi compter le jeu d’acteurs épuré presque bressonien, l’utilisation logique de la langue japonaise mal servie par des sous-titres pourtant officiels qui n’ont pas toujours l’air de savoir ce qui se raconte, la froideur grise des décors, des problématiques qui peuvent paraître très lointaines des problématiques occidentales, un rythme relativement lent, un ton très pincé y compris lorsque les personnages plaisantent, un nombre assez important de personnages qu’on doit rapidement situer les uns par rapport aux autres…
Malgré tout, au bout d’une demi-heure de métrage, on s’habitue à cette atmosphère très particulière et on finit par savourer. Plus encore, on se dit que le style d’Ozu est le style parfait pour raconter les histoires de ces japonais lambda. Dans Le Gourmet solitaire de Jirô Taniguchi, mangaka dont l’œuvre partage pas mal de points communs avec celle d’Ozu, l’auteur fait dire à un de ses personnages : « Au Japon, il faut toujours faire attention aux autres, se comporter en fonction de ce qu’on attend de toi. » Le style Ozu, dans sa distance, montre très bien cela : le personnage n’existe jamais seul dans un plan, il est toujours dans un contexte, dans un cadre, qui sous-entend que le regard d’autrui n’est pas loin.
Le goût du saké n’est pas époustouflant en terme de récit mais nous offre un très beau portrait de vieil homme. Joliment construit, le scénario multiplie les variations autour du même personnage pour mieux dessiner son protagoniste. Le veuf, en effet, est entouré d’une galerie de personnages qui le définissent implicitement. À travers ses fils, l’un célibataire endurci, l’autre soumis à son épouse autoritaire, on entrevoit celui qu’il a pu être par le passé. À travers ses deux amis les plus proches, l’un marieur convaincu, l’autre qui rappelle l’aspect quasi-incestueux des relations veuf / fille car il s’est remarié avec une très jeune femme, on a tout l’éventail des possibilités, avancer ou se complaire dans un mode de vie malsain jusqu’à l’excès. À travers son ancien professeur, on aperçoit enfin ce qu’il sera s’il reste cramponné à sa fille.
Le goût du saké est un film nostalgique qui met très bien en scène la nostalgie. Ozu ne nous donnera jamais accès au passé des personnages par le truchement facile d’un flashback. C’est que le flashback, au cinéma, fait littéralement revivre l’avant. Le flashback, même si c’est un morceau d’histoire passée, se déroule sous nos yeux, au temps présent. Or la souffrance du nostalgique est bien de ne plus pouvoir retourner dans une époque bien-aimée mais perdue. Le veuf ici traîne dans un bar où la serveuse lui rappelle sa femme, et y écoute les musiques patriotiques qu’il écoutait quand il était plus jeune, mais ces petits rêves resteront des petits rêves – le vieux veuf demeure vieux et veuf.
Synopsis
Shuhei Hirayama, vieux veuf sur le déclin, refuse depuis toujours de marier sa fille. Mais ses amis, et les circonstances, semblent bien décidés à le faire changer d’avis.
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