Journal de Cannes 2013 – Jour 5
La BO de The Bling Ring dans les oreilles, je grille au soleil sur la Plage des Palmes, en avance pour mon prochain film. Je suis dans une forme olympique malgré mes 4 coupes de champagne de la veille et le beau temps enfin de la partie recharge mes batteries à la vitesse de la lumière. Après un petit tour au marché du film, je continue sur ma belle lancée avec la séance de rattrapage de Like father, like son, film japonais en compétition et touchant récit familial sur le pouvoir de la filiation.
Et comme ils passent leur vie à manger, à grand renfort de udon et gyozas grillés, je parcours la ville à la recherche d’un restaurant japonais.
A Cannes, on mendie en robe de soirée.
C’est choquant mais c’est comme ça. On enfile son plus beau costume et on fait la manche doté d’un bel écriteau devant le palais des festivals, non pour de l’argent mais bien pour une invitation formelle à voir un film, de la part d’un VIP ou journaliste n’ayant plus besoin de s’y rendre. Les invitations doivent être utilisées ou son propriétaire d’origine risque d’être blacklisté des prochains événements. Cannois civils et accrédités non prioritaires se côtoient dans ce grand marché de l’apparence. Pour mettre un maximum de chances de son côté, il faut faire preuve d’imagination sur sa pancarte. “Je dois rentabiliser mon costume 1 invitation SVP” mène une guerre sans merci à “Texas girls looking for 1 invitation <3”. Mais si tu n’as pas fait la manche pour une invitation, tu as raté ton Festival de Cannes.
Inquiète de ne pas avoir l’opportunité de faire une montée des marches durant le Festival, je décide sur un coup de tête de tenter le coup. Borgman, qualifié de “film chelou du festival” (mais ça, c’était avant le James Franco), propose un tapis rouge à 22h, et je pense qu’il sera assez facile d’obtenir une place vs. un succès comme le dernier des frères Cohen à 19h. Je rejoins deux amis, armée de ma robe blanche de ce matin et d’un écriteau de fortune (j’ai arraché la dernière page d’un dossier de presse donné par un voisin compatissant et emprunté un feutre). Mes potes font des blagues sur le fait que je n’attirerai que des vieux libidineux. Je suis quand même un peu inquiète.
L’effet est surprenant : en moins de 10 minutes, une demoiselle souriante me confie son invitation en échange d’un câlin. Ce soir, je monte les marches.
“C’est l’effet Cannes… – Regardez la route Kara”
Cette montée des marches est l’excuse rêvée pour faire du shopping. J’estime mes escarpins moisis et mes talons trop petits (il faut dire que je les traîne depuis bien 8 ans celles-là…) et m’enflamme pour une paire de talons aiguille de 15 cm tout en ignorant comment je vais réussir à marcher dans ces machins-là.
C’est un peu galère car sur le tapis rouge, on n’a quasiment droit à rien et la tenue doit être irréprochable. Bref, on se les gèle sans manteau et on n’a qu’un sac minuscule. J’ose une veste en cuir et espère planquer mes ballerines dedans pour épargner mes pieds (j’ai bien fait).
La montée est grisante. Nous sommes tous en costumes et robes de soirée, parfumés et souriants. On devrait toujours aller au cinéma vêtus de la sorte. Ce qui ne nous empêche pas de faire les kékés avec nos portables, à se prendre en photo sur le tapis rouge. Stressée, je ne parviens pas à prendre un seul cliché correct, parce que la sécurité nous presse à avancer. Les derniers arrivés sont les show-off : les femmes en robes de soirées luxueuses ou excentriques, prenant narcissiquement la pose une dizaine de minutes sous les flashs des photographes. Puis l’équipe du film, plus humble.
Pendant le film, le contraste est saisissant avec les projections presse : les spectateurs sont beaucoup moins concentrés et l’on retrouve les habitudes irritantes des salles de cinéma grand public. Mes voisins de gauche font la causette, un type devant applaudit dès que l’envie lui en prend, non pour louer le film mais se rendre intéressant. Les gens rient sans arrêt, conscients que l’équipe du film est là, soucieux de bien montrer qu’ils ont compris le trait d’humour du réalisateur. Je leur souhaite silencieusement à tous de périr dans d’atroces souffrances.
Borgman est effectivement étrange, sans être déplaisant. J’espérais presque que le film soit encore plus en marge, mais c’est au final une bonne surprise et je suis contente d’avoir monté les marches pour un film que j’apprécie. Je veux recommencer, et mon prochain objectif sera bien plus ardu : Only God Forgives, avec Ryan Gosling dont la présence sur la Croisette demeure encore une inconnue.
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