Clip (2013)
Review Overview
Note
9Du 12 au 19 avril, les meilleures salles de Rouen et son agglomération accueillent le festival À l’Est, du nouveau qui se consacre aux films d’Europe centrale et orientale. Six films sont cette année en compétition – parmi ces films, Clip de Maja Milos, tourné en Serbie, et déjà primé au festival de Rotterdam.
Pour commencer, assassinons deux qualifications mensongères dont la promotion de Clip abuse. D’une part, on ne cesse de le vendre comme un film « générationnel » et, comme à chaque fois qu’on emploie le terme, c’est idiot. Ce que Maja Milos dit et montre de Jasna ne vaut que pour Jasna. Extrapoler n’a pas de valeur ici. Le monde est complexe, on ne peut pas analyser les mécanismes de toute une génération en analysant seulement un individu de cette génération. D’autre part, partout où vous verrez une évocation de Clip, vous lirez l’expression « film coup de poing ». Que je sache, je ne suis pas ressorti de la salle avec un coquard ! Alors, effectivement, Clip contient son lot de séquences sexuellement explicites mais il faut vivre dans une caverne pour, à notre époque, se laisser choquer par des images pareilles. Bref, le film racole comme il peut – l’affiche fuchsia et son actrice pailletée de sueur n’est pas en reste – et jette le doute sur ses qualités (« vouloir trop plaire, c’est le plaisir des moches » disait Renaud) alors que concrètement c’est un très bon film, qui, au contraire de son héroïne, n’a pas besoin de montrer ses seins pour séduire.
Le dispositif du film est quasi-documentaire. Maja Milos a longuement élaboré son scénario avec des adolescents qui vivent au quotidien dans cette réalité. Son but n’était pas de projeter sa vision sur eux mais de « montrer leurs lieux de sortie, les vêtements qu’ils portent, la façon dont ils parlent, leurs émotions » et tout cela sans porter de regarder moralisateur. Cette démarche l’a menée, comme nous disions tout à l’heure, à filmer des séquences littéralement pornographiques, qui font basculer le métrage dans une autre dimension.
Les détracteurs se sont empressés de dire que Clip était « un film de cul qui ne dit pas son nom », le condamnant par là pour sa représentation de la sexualité, alors que c’est l’aspect le plus intéressant du film. Maja Milos travaille frontalement sur l’imagerie pornographique – POV et éjaculation externe sont au rendez-vous – et la détourne avec intelligence et sensibilité. La codification du genre pornographique découle d’une problématique fondamentale : il s’agit de capter de l’extérieur un plaisir intérieur. Ainsi tout est hyperbolique. Les acteurs ont des gros sexes et des gros seins, et l’orgasme n’est représenté que par sa manifestation corporelle (le gémissement chez la femme, l’éjaculation chez l’homme). L’effet pervers est qu’à force, toute intériorité a disparu de la pornographie. La plupart du temps, on reproduit les codes censés représenter le plaisir sans effectivement ressentir le plaisir. Le succès des sites qui mettent en ligne des bêtisiers de tournages X est révélateur : les spectateurs apprécient car ils permettent de retrouver, parce que les choses marchent mal, les hommes derrière le mécanisme. Le geste de Maja Milos est puissant parce qu’il consiste à réintroduire de l’émotion dans ces images. Les deux personnages qui prennent part à ces scènes sont construits, ils ont une personnalité, une histoire, et le moment pornographique nous dit quelque chose sur eux, sur ce qu’ils pensent devoir faire pour être aimés, sur l’évolution de leur relation. Rien à voir avec « un film de cul » !
En outre, dans le dossier de presse, Maja Milos justifie très bien cette démarche : « Le problème vient plutôt de la pauvreté des images du sexe que nos sociétés véhiculent. Ce sont soit celles de la pornographie, soit celles des films sentimentaux – majoritairement américains chez nous -, dans lesquels la beauté du corps est idéalisée. Dans ces deux cas, les images sont dépourvues d’émotions. » Clip s’oppose à cette tendance en offrant une vision complexe de la sexualité de ses personnages.
Avec la sortie récente de Pieta, certains critiques, assez éclairés d’ailleurs, ont dénoncé une certaine tendance du cinéma d’auteur à considérer le spectateur comme un réceptacle à images douloureuses. Apparemment, le film montrerait des scènes incestueuses et cannibales sans détour, et sans rien essayer de raconter au-delà de ça, comme si, par le simple fait de montrer ces scènes-là, le film devenait profond et incontestable. Clip n’est pas du tout assimilable à ce courant-ci. « Comment est-ce que l’amour, l’empathie ou la tendresse, peuvent encore coexister avec cette multitude de vidéos très intimes disponibles sur internet ? » se demande Maja Milos. Clip est, en ce sens, un véritable film d’amour, avec deux beaux personnages – mon préféré étant le garçon, dont la difficulté à communiquer est joliment mise en scène, notamment lors d’une scène (la meilleure du film peut-être) où la mère de Jasna le force à rester manger des biscuits à la maison – qui se cherchent puis se trouvent. Véritable film d’amour qui en plus prend en compte la redéfinition moderne du concept d’intimité. Le couple a déjà fait l’amour dans tous les sens quand Jasna réussit enfin à dire à Djole ce qui lui tient vraiment à cœur. C’est la mise à nu spirituelle qui paraît la plus impudique !
Le film est sorti mercredi dans les salles les plus pointues de notre cher Hexagone. Je vous invite à aller le voir pour faire votre propre avis, et jauger si vous faites partie des pro-Clip ou des anti-Clip – moi j’ai choisi mon camp !
Synopsis
Jasna, 16 ans, vit à Belgrade. Sa vie consiste à faire la fête et à filmer ces fêtes avec son portable. Peu à peu, elle tombe amoureuse de Djole, une brute qui fréquente le même lycée qu’elle.
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