Mamma Gógó (2010)
Review Overview
Note
8Mamma Gógó, troisième opus de la rétrospective Fridrik Thor Fridriksson, est le dernier film en date du cinéaste. Par beaucoup d’aspects, on a l’impression de voir aussi son dernier film tout court.
Comme il l’a rarement fait dans sa filmographie, Fridriksson ici aborde frontalement l’autobiographie. Si on pouvait certainement entrevoir un peu de sa personnalité à travers les personnages principaux des Anges de l’univers et de Fièvre froide, et, à plus forte raison, dans l’enfant de Movie Days, on n’avait jamais encore vu Fridiksson réalisateur mettre en scène… Fridriksson réalisateur. Car, bien que le nom du protagoniste cinéaste ne soit jamais mentionné, les allusions multiples à la carrière de Fridriksson (la sortie des Enfants de la nature, la création de l’Icelandic Film Corporation) permettent sans souci de faire le lien. La question, en revanche, de la part de fiction est insoluble puisque Fridriksson utilise un avatar, qui déambule dans une intrigue, sans jamais aller jusqu’au documentaire.
Mamma Gógó fait figure de film-synthèse en ce qu’il contient en lui toutes les œuvres précédentes. Concrètement, on voit des extraits des Enfants de la nature. Moins concrètement, Fridriksson tisse des connexions discrètes en réutilisant des ingrédients déjà utilisés. La mère du réalisateur dans le film, par exemple, est prise par une lubie qui consiste à assister aux enterrements de gens inconnus, comme le faisait le personnage de la photographe dans Fièvre froide. Or, qui dit synthèse, dit aussi bilan. Et ce qui ressort de ce bilan, c’est une grande lassitude. On ne voit jamais le réalisateur au travail, en train de créer, de s’échiner pour un projet qui lui tient à cœur – tout ce qu’on voit, ce sont des négociations pour amorcer le film terminé, des ruses rarement fructueuses pour ne pas sombrer dans les dettes, des discussions abstraites sur les attentes du public. Jamais on ne fait de film ! Fridriksson met l’accent sur cette pétrifiante période d’entre-deux films et laisse entendre par ce geste que sa carrière a uniquement consisté à lutter pour éviter la noyade. Il profite d’ailleurs de l’occasion pour tacler le système international, via une satire d’Hollywood (un gros producteur américain lui demande de réaliser une trilogie d’aventure avec Paris Hilton en tête d’affiche) et des festivals (un jury lui décerne un prix un jour et lui enlève le lendemain pour des raisons terriblement mauvaises – « en fait on a plutôt envie d’un film norvégien »).
Mamma Gógó, pour autant, n’est pas le film de l’abandon. La forme demeure dense, ne cède pas à un radicalisme / minimalisme qui pourrait accompagner la perte de foi. Plus fort encore, Fridriksson continue à créer des nouvelles formes. Mamma Gógó ne ressemble pas du tout, en terme de photographie et d’atmosphère, à ses films précédents. Il ne tombe pas dans le vice du vieux cinéaste, celui qui consiste à abdiquer et à se ranger, quel que soit le sujet, vers un style établi et identifiable au premier coup d’œil. Autrement dit, Fridriksson croit encore dans le cinéma en tant qu’art, et sa lassitude ne provient que du cinéma en tant qu’industrie. Son discours n’en est que plus puissant.
Un autre élément essentiel nous permet d’affirmer que Mamma Gógó a une forte tendance au crépusculaire : l’intrigue cinématographique est sans cesse parasitée par cette seconde intrigue toute aussi importante de la mère malade que les enfants doivent canaliser. Comme dans Les Anges de l’univers (un autre point à ajouter à la synthèse !), Fridriksson filme un esprit qui s’effondre sans qu’on ne puisse rien y faire. On sent plus que jamais une angoisse du vieillir.
Cela dit, le traitement accordé à la maladie n’est pas statique et souffreteux. Fridriksson n’est pas Haneke, et il peint une malade que l’imminence de la mort ne vide pas de la vie. La mère, même si sa perception de la réalité, n’arrête pas de se biaiser de plus en plus gravement, fait toujours preuve à la fin de l’énergie qu’elle manifestait au début, lorsqu’avec roublardise elle esquivait une amende pour conduite en état d’ivresse. Quand elle est internée, elle tente plusieurs fois de s’enfuir. Sa plus belle (et sa plus vaine) tentative consistera �� mettre ses pieds joints dans la cuvette des toilettes et à tirer la chasse d’eau. La fantaisie perdure même quand Alzheimer est à son comble et ne minimise en aucun cas l’impact de la maladie.
Mamma Gógó serait donc un film-testament, qui distribue quelques derniers clins d’œil, quelques dernières claques, avant l’extinction. En tout cas, c’est ce que nous n’espérons pas. La rétrospective mise en place par le festival rappelle que Fridrick Thor Fridriksson est un cinéaste passionnant, dont on voudrait bien voir encore quelques milliers de films.
Synopsis
Mamma Gógó nous raconte le quotidien d’un réalisateur islandais dont les films ne marchent pas bien, et qui doit gérer sa mère, atteinte d’Alzheimer.
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