Fièvre froide (1997)
Review Overview
Note
10Avec ces tribulations d’un japonais en Islande, deuxième film de la rétrospective Fridrik Thor Fridriksson organisée par le festival À l’Est, du nouveau, le cinéaste en question signe ce qui semble être son film le plus accessible.
Le road-movie est un genre typiquement américain, et pour cause : les États-Unis forment un immense pays dans lequel tout est à la fois extrêmement proche et extrêmement lointain. Le road-movie découle organiquement d’une géographie qui induit les interminables road trips. De ce fait, quand le genre s’exporte, l’appropriation peut facilement paraître artificielle. Qu’un cinéaste français s’empare du road-movie, et on a l’impression de le voir appliquer une recette inappropriée : aller d’une extrémité à l’autre de la France doit prendre dans le pire des cas une journée. Les héros de road-movies sont les seuls français au monde à strictement respecter la règle « faites une pause toutes les deux heures ! » – il faut bien que le trajet Limoges-Clermont puisse combler l’heure et demie du métrage.
Ce reproche, on ne peut pas le faire à Fièvre froide. La délocalisation du genre vers l’Islande fait rapidement sens. L’Islande n’est pas une vaste contrée (après tout, Fridriksson fait le tour de l’île en 1h21 dans The Ring Road !) mais elle contient, par son climat glacial, des problématiques propres qui fabriquent naturellement de la fiction. La route est courte mais le voyage est long. Si le road-movie américain provient d’une donnée géographique, Fièvre froide provient plutôt d’une donnée météorologique. Devrait-on dire alors que c’est un weather movie ? Le titre fait référence au temps plus qu’au voyage !
L’enjeu de Fièvre froide est simplissime – Hirata veut aller sur le lieu reculé où ses parents sont morts – mais suffisant. Sur ce postulat minimal, Fridriksson déballe un périple qui appelle une formidable diversité de sentiments – on sera, liste non-exhaustive, émerveillés, attristés, inquiets, horrifiés, amusés… Fridriksson, dont on devine une passion affirmée pour le cinéma de Chaplin (Pall dans Les Anges de l’univers est admirateur du cinéaste et regrette de s’être fait plaquer devant l’un de ses films ; le personnage principal de Mamma Gogo est heureux d’apprendre que sa mère montre du Chaplin à son petit-fils et s’exclame avec le sourire qu’il est bon d’éduquer les enfants avec de bons films), rejoue La Ruée vers l’or, avec un sens du burlesque moins direct mais bien réel. Le burlesque est en premier lieu une affaire de silhouette, et ce corps japonais confronté aux espaces islandais en forme une très belle.
Fièvre froide, en vérité, aurait mérité d’être financé par l’office du tourisme islandais. Ce n’est pas que Fridriksson dit « L’Islande est le meilleur pays du monde ! » – personne n’est dupe à ce point – mais plutôt qu’il alterne sans cesse les éléments de satire par lesquels il sous-entend que l’islandais profond est un rustre et les éléments poétiques qui en accentuent la grandeur. Dans la contemplation des paysages, il passe de plans fades où tout est bouché par les tempêtes de neige – il n’y a littéralement rien à voir – à des plans sublimes où lumière et texture enchantent. Quand il s’attarde sur les superstitions, il fait d’abord ricaner un américain qui trouve les croyances locales ridicules mais leur donne ensuite une totale validité puisque Hirata est sauvé à mi-parcours par une apparition magique.
L’échantillon le plus représentatif de la démarche de Fridriksson (montrer les beautés de l’Islande en montrant sans concession ses laideurs) se situe dans les têtes de moutons morts. Un des motifs récurrents de Fièvre froide, en effet, sont les têtes de moutons morts, que les paysans islandais dégustent avec allégresse comme d’autres savoureraient un caviar. Ces têtes de moutons morts sont, à leur première apparition (une apparition virtuelle, par la parole – une femme affirme que ce qu’elle préfère manger chez eux, c’est les yeux), répugnantes, et on se fige dans une répulsion. La deuxième fois, les têtes s’entassent par dizaines, c’est la fête, et on comprend un peu mieux ce que ces têtes incarnent pour eux – une abondance, une richesse. La troisième fois, Hirata, ivre, parle dans sa chambre avec l’une des têtes. La séquence est incroyablement charnelle, et on pense jusqu’à la fin qu’elle va se clore par un baiser – finalement, Hirata croque la joue du mouton, mais ça n’en est pas moins sensuel ! La morsure, alanguie, est celle d’un amoureux.
Fridriksson travaille la représentation du pays par strates, en creusant progressivement tout le long du film. À peu près tous les points de vue sur l’Islande sont présents dans Fièvre froide et par là le film est objectif. Mais qui dit objectif ne dit pas forcément neutre, et c’est bien une vision positive qui surnage. À la fin, on est heureux d’avoir pu faire ce voyage avec Hirata, sans avoir à subir le froid avec Hirata.
Synopsis
Hirata est un jeune homme japonais. Au moment où le film commence, cela fait sept ans que ses parents sont morts en Islande. Pour ses vacances, il décide de se rendre à l’endroit où ils sont décédés.
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