My blueberry nights (2007)
Review Overview
Note
8Wong Kar Wai, avec The Grandmaster, retourne à Hong Kong et réalise un film d’action en tournant apparemment le dos à ses obsessions sentimentales. Aurait-il atteint les limites de son cinéma avec son précédent film, My Blueberry Nights, dans lequel, tout en essayant d’échapper à son univers en changeant de pays, il ne pouvait cependant pas s’empêcher de ressasser ses marottes ?
Avec surprise, je me suis rendu compte, en lisant les critiques, que peu de monde avait cherché à explorer un pan pourtant essentiel du film : My Blueberry Nights est avant toute chose une immense déclaration d’amour envers les États-Unis comme objet esthétique. Tout dans le film est américain, voire suraméricain. La langue évidemment, les accents, la musique, l’image (Wong Kar Wai étalonne son film avec un plaisir des tonalités vives qui rappelle les débuts de la couleur et compose une sorte de post-Technicolor), les décors… On se balade de diners en coffee shops, de casinos en routes désertiques d’Arizona. Le plus fort est que Wong Kar Wai parvient à ne jamais tomber dans le cliché bêta, et détourne avec malice certains passages obligés. Quand Elizabeth débarque à Las Vegas, par exemple, le cinéaste n’introduit pas la ville par l’habituel montage de plans aériens grandiloquent, il expédie le tout en 10 secondes, avec quelques gros plans très rapides depuis le sol.
Mais ce qu’il y a de plus américain dans le film, ce sont certainement les corps. Wong Kar Wai filme avec une joie communicative un adorable Jude Law et les magnifiques Rachel Weisz et Natalie Portman. D’ailleurs, le travail effectué sur ces deux actrices justifie à lui seul l’existence du long-métrage. Le cinéaste en fait d’excellents personnages, à la fois très belles et très vulgaires. Il accentue leur perfection plastique tout en les affublant de gros accents du Sud, de goûts vestimentaires et capillaires très discutables, d’idées un peu basses. Honnêtement, c’est la première fois que je vois une aussi belle représentation de l’américaine middle-class et c’est très amusant que ce soit un chinois qui en soit responsable. À côté de tout cela, la petite Norah Jones paraît bien fade mais cela ne nuit pas au film : elle est moins un réel protagoniste qu’un avatar du spectateur qui permet l’accès à toutes ces petites histoires.
Les meilleurs moments de My Blueberry Nights, ainsi, ont lieu lorsque Wong Kar Wai assume totalement la déclaration d’amour. On les trouve dans le second tiers – tous les plans iconiques sur Rachel Weisz sont délicieux – et, avec encore plus d’intensité, dans le troisième : le réalisateur, ici, ne se contente plus de multiplier les jolies images, il y ajoute un très efficace pastiche de film de poker (genre on ne peut plus américain !), qui dénote une grande maîtrise narrative. Dans ce segment, j’ai même été touché par l’idéalisation de l’objet voiture. Bien qu’en réalité je m’en fiche absolument de ces machines, ces plans étranges où les lumières flashy de la rue se reflètent et se déforment sur la peinture noire métallique de la Jaguar m’ont enchanté. Et c’est la preuve ultime que l’expérimental ne prend véritablement son sens que lorsqu’il est mis au service d’un récit.
Malgré tout, et c’est l’argument de toutes les critiques négatives, rien de surprenant dans le fond ! Wong Kar Wai a simplement délocalisé ses thématiques. On retrouve sa nostalgie presque proustienne, on retrouve ses histoires d’amour sinueuses retranscrites avec acuité et précision, on retrouve enfin ces vies qui se croisent au hasard, appelant une réflexion sur le destin…
Personnellement, ça ne m’a pas dérangé. Il faut dire aussi que je vois son cinéma avec un œil assez pur puisque j’ai vu peu de ses films. Mais surtout la chose est traitée avec légèreté, c’est sucré, mélancolique. La musique de Norah Jones – et de fait je comprends pourquoi Wong Kar Wai la voulait pour incarner Elizabeth malgré son inexpérience – colle parfaitement à cette atmosphère.
Autre élément qui me permet de pardonner l’absence de renouvellement : la répétitivité est assumée et traitée comme motif esthétique. On pourrait écrire un article entier sur les jeux de symétrie dans le film, sur les redites. Mais le plus représentatif reste que la musique de In the mood for love, le film le plus célèbre de Wong Kar Wai, est réutilisée ici avec des arrangements blues. Cette mélodie est emblématique, Wong Kar Wai savait qu’on allait immédiatement la reconnaître. J’interprète ce geste de la manière suivante : il tenait à nous dire « je vous raconte la même histoire, j’ai simplement changé de décor ».
Si quelque chose plombe effectivement le film, ce n’est pas tellement sa prévisibilité qu’il faut accuser. Le réel problème, c’est que tout ça ne vole pas très haut. Les dialogues et voix-off à portée philosophique sont d’une pauvreté qui évoque les pires moments de la série Grey’s Anatomy – le pire étant qu’ils viennent pour la plupart expliciter des éléments déjà évidents. À la fin, quand Elizabeth rentre de son voyage, elle dit « Les autres nous servent parfois de miroirs. Censés nous cerner, dire qui l’on est. » À quoi bon le formuler ? C’est ce que le film nous montre depuis son début !
Autrement dit le film échoue dès qu’il s’agit de dépasser l’anecdotique. Mais pourquoi pas ? C’est certainement un film mineur, que Wong Kar Wai a fabriqué pour se reposer entre deux grosses œuvres, mais il y a une place pour ce genre de films. On a besoin de bluettes sophistiquées.
Synopsis
Elizabeth, pour oublier les douleurs d’une rupture amoureuse brutale, prend la route et traverse les États-Unis. Loin d’être un périple touristique, son voyage va lui surtout lui permettre de faire des rencontres.
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Moi qui n’avais pas supporté les répétitions et les lenteurs de In the mood for love, j’ai beaucoup apprécié ce film, porté par des acteurs très justes.
La photographie est remarquable. -
Je partage entièrement ton avis! C’était mon premier Wong Kar-Wai et, bien que le fond ne décolle pas comme tu l’as dis, cela a été un véritable plaisir. Une plongée esthétique et mélancolique dans une Amérique réussie et plutôt réaliste, même si je trouve plus de facilités et de clichés dans l’écriture que toi.
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