Girlfriend Experience (2009)
Review Overview
Note
5Steven Soderbergh a une filmographie atypique. Très éclectique, elle contient autant de bons que de mauvais films, de grosses machines que de métrages fauchés. Soderbergh n’a pas non plus l’air d’avoir d’obsession, de thématique qu’il aime à réexplorer à chaque film, ou même de style vraiment défini. Bel exemple de son imprévisibilité : en 2008, Soderbergh tourne un double biopic sur le Che avec pas moins de 70 millions de dollars – l’année suivante, il fait Girlfriend Experience avec à peine 2 millions.
Pour commencer, faisons une petite précision qui ravira notre rédac chef : le titre original The Girlfriend Experience a été remplacé en France par… Girlfriend Experience. Je pense que ça mérite un prix dans le genre adaptation de titre absurde. Que ceux qui sont capables de m’expliquer en quoi l’élision du « the » est vendeuse s’avancent !
Girlfriend Experience est un film particulièrement austère. La narration, d’une part, est chaotique. Soderbergh additionne les vignettes sans souci de chronologie et si cette structure ménage quelques bonnes surprises (en particulier lorsqu’on finit par connecter deux extraits éloignés et que l’opération leur confère un sens nouveau), on a plus souvent l’impression d’assister à un montage en aléatoire. Les séquences se disposent les unes par rapport aux autres de manière pas franchement sensée et s’arrêtent à la guise du cinéaste alors qu’on a le ferme sentiment qu’elles auraient pu durer encore trois minutes, ou trois heures, ou, pire, qu’elles auraient pu être totalement coupées sans que ça nuise à l’œuvre. Soderbergh ne tient donc pas ici à nous embarquer dans le flot d’un récit. Au profit de quoi ? Du portrait de son héroïne ? Pas vraiment puisqu’elle restera pendant la totalité du film globalement opaque. On entre dans son univers brutalement, sans introduction ni exposition, et on ne quitte plus après ça la distance imposée dès le départ. Par ailleurs les séquences s’arrêtent toujours trop tôt pour vraiment questionner l’identité de Chelsea. On se dit en fait qu’on comprendrait assez bien cette fille si seulement Soderbergh acceptait de faire durer un peu plus les situations et dialogues – c’est dire combien l’objet peut paraître artificiel dans ses pires moments.
S’il n’y a ni histoire ni personnage, me direz-vous, il doit y avoir de l’invention visuelle pour compenser. Eh bien non ! La mise en scène, répétitive à souhait, suit systématiquement le dispositif que voici : énormément de plans-séquences fixes et larges, très peu de gros plans, focus sur les avant et arrière-plans plutôt que sur les personnages, et étalonnage froidement chic.
Toute cette esthétique fait sens si l’on considère ce que Soderbergh veut dire à travers ce film. Il dénonce, évidemment, le monde apathique et engourdi que Chelsea est amenée à côtoyer – celui des richissimes hommes de Manhattan, les seuls à pouvoir se permettre une prostituée de cet acabit. On retrouve ici l’attitude habituelle des artistes qui s’en prennent à ces hautes sphères puisque Soderbergh se contente de dresser, comme auraient pu le faire un Bret Easton Ellis ou le Cosmopolis de Cronenberg, une description insensible de l’insensibilité contre l’insensibilité. Le procédé est contre-productif ; avec acuité, les auteurs du blog Il a osé ! soulignaient récemment que la grandeur du Holy Motors de Leos Carax provenait du fait que, tout en proclamant la mort du cinéma, le film était incroyablement inventif en terme de cinéma.
La seule bonne idée du film – pour ne pas dire la seule idée tout court ! – se situe dans la manière dont Soderbergh s’empare de Sasha Grey. Cette dernière – est-ce nécessaire de le préciser ? – est une actrice pornographique célébrée à la fois pour ses performances hardcore (elle est passée par tous les supplices possibles et imaginables du sadomasochisme) et pour la hauteur de son esprit (mais ça, ça ne serait certainement pas arrivé si les journalistes prenaient un peu moins les pornstars pour des imbéciles). Soderbergh détourne ce qu’elle incarne dans l’imaginaire collectif avec facétie. Chelsea, décrivant un de ses rendez-vous, commente : « Dan a parlé tout du long. On n’a pas fait l’amour. » Cette phrase résume parfaitement Girlfriend Experience. Le sexe, on le trouve dans les ellipses, il n’est jamais présent à l’image et n’apparaît que vaguement dans les paroles. Si on mettait quelqu’un de très innocent face à ce film (un schtroumpf par exemple), il ne comprendrait certainement pas de quoi ça parle. Le plus érotique qu’on aura, c’est un câlin en sous-vêtements ! Soderbergh prend plaisir à ne pas satisfaire l’attente et le manifeste en multipliant les scènes où Sasha Grey, à moitié nue, patiente, dans un ennui poli, jusqu’à ce que le client ait fini son bavardage.
Ces scènes, d’ailleurs, servent très bien le propos : le cinéaste se moque discrètement de ces types qui restent focalisés sur leurs finances quand le fantasme d’une bonne partie de la planète s’offre à eux. On se demande sans cesse « mais qu’attendent-ils ? ». Ils lui lancent à peine un regard ! Ils se projettent dans le futur, réfléchissent au placement idéal pour contrer la crise. C’est comme si Soderbergh nous invitait, au contraire de ces sinistres encravatés, à savourer le présent.
Ainsi, Girlfriend Experience n’aurait eu aucun intérêt sans le recours à Sasha Grey. Mais le plus amusant est que Portrait Of A Call Girl de Graham Travis, film pornographique ambitieux qui a emporté pas mal de prix en 2011, s’est clairement inspiré, dans sa composition, du film de Soderbergh. Autrement dit, la pornographie a généré du cinéma dit traditionnel qui a généré à nouveau de la pornographie. Il serait peut-être temps de briser les cloisons et de se graver dans la tête que toutes les créations communiquent et s’alimentent sans distinction de provenance !
Synopsis
Le film raconte, par bribes, la vie de Chelsea, escort-girl new-yorkaise, qui doit jongler entre les exigences de sa carrière et les peurs de son petit-ami.
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