Psychose (1960)
Ma note : 8/10
Le Hitchcock de Gervasi, bourré de maladresses, ne fait au moins pas celle d’essayer de raconter toute une vie en 1h30 : le film se concentre sur la période où Hitchcock, en quête perpétuelle de renouvellement créatif, conçoit, réalise et sort Psychose, qui reste encore aujourd’hui considéré comme un de ses chefs-d’œuvre. Mais le film a-t-il vraiment gardé toute sa puissance ?
SYNOPSIS
Marion Crane, portée par un désir de fuite et de liberté, vole 400 000 dollars à son travail. Paniquée, elle tente de s’échapper de la ville et finit par atterrir dans un motel miteux géré par Norman Bates, un frêle et ambigu fils à maman qui passe ses journées à empailler des oiseaux.
CRITIQUE
J’ai découvert pour la première fois Psychose à une époque où, plus jeune, je regardais beaucoup de films d’horreur et en particulier des slashers : le film m’avait terriblement déçu. Alors qu’on m’annonçait partout le plus grand film d’horreur de tous les temps, j’avais à peine frémi. En le redécouvrant, je revois mon jugement à la hausse. Il reste, malgré tout, que ce premier ressenti est légitime : Psychose, après plusieurs décennies de films qui l’ont pillé, pastiché, parodié, ne peut pas avoir conservé toute sa sève. C’est un film rincé.
C’était d’autant plus légitime que, du reste, je le trouve encore assez maladroit dans sa seconde partie. D’abord, on passe le relai à des personnages insipides. La soeur et le petit ami de Marion sont incarnés par des acteurs mous et c’est difficile de s’intéresser à ce qui va leur arriver. D’ailleurs, je ne sais pas si l’anecdote est réelle ou pas, mais dans le biopic de Gervasi, on fait dire à Hitchcock, à propos de l’acteur qui interprète le petit ami, « C’est un beau garçon mais il ne sait pas jouer. » J’adhère totalement à cette remarque, et ça ne passe pas du tout inaperçu quand l’acteur est confronté à un Anthony Perkins très subtil, combinant avec grâce fragilité et brutalité.
En outre, je pense que le film gagnerait largement à couper la tirade de fin du psychologue. Ici, Hitchcock ne fait pas preuve de son habituelle confiance en le spectateur : il nous explique tout, quand bien même on a déjà deviné en grande partie les enjeux de l’affaire. On se croirait dans une scène de révélation à la fin d’un Agatha Christie… sauf qu’on devance les trois quarts des révélations. C’est terriblement dommage de finir par expliquer platement ce qui a été joliment été suggéré. Cela dit, il se peut que ce soit un effet du temps. Je suppose que les spectateurs des années 60 étaient peu habitués à ce genre d’histoires et la tirade leur était nécessaire. Aujourd’hui, nous maîtrisons tous plus ou moins ces concepts psychiatriques et la tirade nous plombe la conclusion. Comme preuve de l’utilité limité de cette scène, remarquons que Gus Van Sant, dans son remake plan par plan, l’a considérablement raccourcie.
La première heure du film, en revanche, est exemplaire. Contrairement à la peinture qu’en fait Gervasi, Hitchcock est un cinéaste malicieux et Psychose un film, comme lui, plein de malice. Il s’amuse visiblement à réaliser ce long-métrage. Il joue avec le spectateur, le fait s’attacher à un protagoniste pour le désorienter juste après en l’abandonnant. Contrairement aux slashers habituels où les personnages destinés à mourir ne sont pas développés au-delà du stéréotype, justement parce qu’ils sont destinés à mourir, Marion Crane bénéficie d’une longue introduction, bien écrite et parfaitement filmée, si bien qu’on regrette le sort fâcheux qui la mène à Bates et met fin à « son » film. Mais la malice du cinéaste ne se limite pas à ça : Hitchcock joue aussi aux équilibristes avec ce qui est permis par la censure ou non.
Rappelons qu’à l’époque le Code Hayes est encore en vigueur. Cette réglementation de ce qui peut et ne peut pas être montré sur un écran contient son lot d’absurdités, qu’Hitchcock détourne avec plaisir. Anecdote significative : Chaplin raconte dans son autobiographie que la censure n’appréciait pas la scène de Monsieur Verdoux où le personnage éponyme, un simili-Landru, dit ironiquement bonne nuit à la vieille femme qu’il vient d’épouser alors qu’il a prévu de la tuer. Il leur demande : « Vous trouvez ça trop immoral peut-être ? – Oui. La femme dit Viens te coucher, c’est sexuel. Il faudrait qu’elle dise Va te coucher. » Voyez comme le regard du censeur est infiniment plus pervers que le film qu’il regarde. On accepte très bien le meurtre d’une pauvre fille sans défense mais pas du tout le soi-disant sous-entendu. C’est dans ce contexte-ci qu’Hitchcock arrive à faire passer un Psychose où se multiplient les plans de Janet Leigh en soutien-gorge ou (elliptiquement) nue !
Dans une séquence, Bates apporte le dîner à Marion, qui souhaite le manger avec lui, dans sa chambre. Bates fait quelques pas, puis tout à coup s’arrête et recule. Il préfère l’inviter dans son bureau. Je perçois cette scène comme un clin d’oeil aux censeurs, qui auraient fait un bond jusqu’au plafond si Marion et Bates avaient discuté dans la chambre, mais s’en fichent s’ils le font dans le bureau.
Je parlais tout à l’heure du fait que Psychose n’aurait peut-être pas très bien vieilli : je tiens à préciser que les séquences emblématiques du film – la scène de la douche, la scène de l’escalier, la scène de la cave, les plans de fin sur Bates – sont toujours diablement efficaces. Et il faut qu’elles le soient profondément pour qu’avec nos yeux usés, nous soyons encore crispés quand la silhouette se dessine derrière le rideau transparent ou que la porte s’ouvre lentement tandis que le détective gravit les marches.
Psychose n’est pas, comme Fenêtre sur Cour ou Vertigo, un film parfait, mais Hitchcock a fondé, avec lui, une forme nouvelle dont le cinéma ne s’est jamais remis.
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