Inglourious Basterds (2009)
Ma note : 7/10
On peut lire, de ci de là, sur Internet et ailleurs, que Django Unchained se distinguerait des autres films de Tarantino en ce qu’il serait un western spaghetti. Je m’insurge !
SYNOPSIS
Pendant l’Occupation, en France, la juive Soshanna Dreyfus réussit à échapper au très méthodique et perspicace colonel SS Hans Landa et entreprend trois ans plus tard, devenue propriétaire d’un cinéma, de tuer tous les hauts dignitaires nazis lors de l’avant-première d’un film de Goebbels. Parallèlement, les Alliés, et en particulier un groupuscule de juifs américains enragés qui scalpent du nazi à la chaîne, les Bastards éponymes, veulent aussi profiter de l’occasion. Réussiront-ils à accomplir à leur mission alors que Hans Landa rôde ?
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CRITIQUE
Réglons pour commencer la problématique qui est à l’origine de cet article : oui, Inglourious Basterds est bien un western spaghetti tel que le conçoit Sergio Leone. Certes, le décor n’est pas le même, mais l’esprit est absolument identique. Chez Leone, on ne verra jamais d’immenses et amples gunfights. Ce qui l’intéresse dans l’action, c’est le moment de tension avant l’action.
Dans Inglourious Basterds, Tarantino reproduit exactement le même geste. Alors que, comme nous l’a montré Kill Bill, le cinéaste sait très bien mettre en scène les combats, il fait ici le choix d’expédier tous les affrontements. Beaucoup ont souligné, à la sortie du film, la maladresse de la séquence de fusillade dans la cave. On la dit mal découpée, illisible, trop rapide. C’est que Tarantino n’en a rien à faire : il n’est clairement pas là pour filmer des belles bagarres ; il est là pour s’amuser avec les nerfs du spectateurs en déployant les longues plages de dialogues qui précèdent l’explosion.
Et puisque nous sommes chez Tarantino, l’inspiration est affichée. Le chapitre I, significativement, s’appelle Once upon a time… in Nazi-occupied France, clin d’oeil évident aux titres Once upon a time in the West/the Revolution/in America de Leone. Comme si ça ne suffisait pas, tout ce chapitre est un pastiche du style Leone, et il suffit pour constater cela de le comparer à la séquence d’introduction du personnage de Lee Van Cleef dans Le Bon, la Brute et le Truand – Tarantino va même jusqu’à utiliser un morceau d’Ennio Morricone en bande son ! En outre, qu’est-ce que le western sinon de l’Histoire fantasmée ? En réécrivant à sa manière la période de l’Occupation française, Tarantino s’inscrit directement dans cette démarche de reconstruction mythique.
Pour aller encore plus loin, l’influence spaghetti n’est pas nouvelle chez le cinéaste. Ce dispositif consistant à développer la tension au détriment de l’action, on le trouve dans un bon paquet de séquences emblématiques de sa filmographie. Exemple, au hasard : dans Pulp Fiction,
Autre exemple encore : Kiddo et Bill
Pour résumer, Django Unchained est le premier western que Tarantino fait dans un décor western, mais pas du tout son premier western dans l’absolu.
Revenons à nos moutons : si Quentin Tarantino choisit de nommer son film Inglourious Basterds, c’est qu’il se réfère à l’Inglorious Bastards d’Enzo G. Castellari de 1978. De ce long-métrage, il ne prélève pas grand-chose, si ce n’est une certaine méthode de travail. En effet, dans le film de Castellari, comme dans celui de Tarantino, les Américains parlent anglais, les Allemands parlent allemand, les Français français et ainsi de suite, le casting allant chercher ses acteurs dans chaque pays cité plutôt que de faire jouer les répliques en phonétique à des comédiens qui ne maîtrisent pas la langue. C’est ainsi qu’au milieu de cet Inglorious Bastards, des acteurs aussi différents que Fred Williamson et Michel Constantin se côtoient.
Petite parenthèse, à ce sujet : la VF d’Inglourious Basterds est une hérésie. Quel est l’intérêt de doubler un film qui repose pour beaucoup sur la diversité des langues et des accents ? Ce sont les distributeurs français qu’on devrait scalper !
Avec Inglourious Basterds, Tarantino fait du Tarantino. On l’a déjà dit : comme d’habitude, l’univers est ultra-référencé et le bavardage est légion. Comme d’habitude également, Tarantino privilégie l’unité esthétique au sein de l’unité chapitre ou séquence et se moque de faire un long-métrage homogène.
De fait, le film, très nettement morcelé en cinq segments, n’a rien pour cacher son inégalité. Sur certaines séquences, Tarantino est très inspiré et on s’éclate, sur d’autres il est plus mécanique et on s’ennuie poliment.
Parmi les séquences jouissives, on peut mettre en tête le chapitre premier et la séquence de cave déjà évoqués, mais aussi ce morceau de pure screwball comedy où trois Bastards essaient de faire croire qu’ils sont italiens à un Landa pas dupe pour un sou. Parmi les séquences mollassonnes, on peut citer ce moment où
Entre deux, et c’est dommage puisqu’un récit aussi elliptique permet en théorie de ne garder que les temps forts, on a aussi pas mal de séquences de transition juste moyennes.
Pour en revenir à Mélanie Laurent, je l’ai trouvée, en revoyant le film, pas si mauvaise qu’on a pu le dire. C’est même assez amusant de la voir jouer dans ce bolide hollywoodien comme elle jouerait dans un petit drame bourgeois parisien à trois francs. De surcroît, Tarantino a l’air sincère dans son amour du personnage et de l’actrice et multiplie les plans iconiques sur elle, ce qui lui donne un peu de charisme. Ça reste doucement scandaleux qu’il lui ait donné ce rôle alors que la gracieuse Léa Seydoux fait la figurante dans le film et, bien sûr, le jeu de Mélanie Laurent ne peut paraître que maladroit à côté de performances comme celles de Christoph Waltz ou de Brad Pitt mais elle fait le travail. Sans superbe, mais elle le fait.
Par contre, son partenaire, Jacky Ido, est une véritable anomalie de casting. Tout ce qu’il dit sonne faux. Ma théorie, c’est que Tarantino n’a pas du tout la musique du français dans l’oreille et que tant que l’acteur ne lâche pas un grand sourire au milieu d’une scène dramatique, il considère que c’est dans la boîte. Il jette un oeil à sa French Language Assistant : « Did he say the lines ? – He did. – NEXT. »
Tout inégal qu’il est, Inglourious Basterds reste à ce jour le projet le plus ambitieux du réalisateur, autant dans ce qu’il raconte que dans ce qu’il dit. Cette grande fresque historique multilingue professe la toute-puissance du septième art : avec le cinéma, on peut réécrire l’Histoire ; avec le cinéma, on peut réparer les torts qu’on a jamais pu réparer dans la réalité, on peut punir par la fiction ce qui injustement était resté impuni.
Inglourious Basterds enterre au passage les réalisateurs imbéciles qui pensent que les films sur la Seconde Guerre Mondiale doivent nécessairement être des pensums naturalistes larmoyants. Personnellement, je préfère revoir dix fois Inglourious Basterds que regarder une fois La Rafle de Rose Bosch en entier.
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