L’homme qui rétrécit (1957)
Ma note : 8/10
L’homme qui rétrécit (The Incredible Shrinking Man) se distingue par des effets spéciaux spectaculaires à l’époque : en 1957, il réussit un tour de force en faisant “rétrécir” un homme à l’écran de manière vraisemblable. Au-delà de cette prouesse technique, le film se révèle un miroir de la société de l’époque et une véritable réflexion philosophique sur la condition de l’Homme.
Synopsis
Lors d’une croisière en mer avec sa femme, Scott Carey se retrouve exposé à une sorte de nuage radioactif. Suite à cela, il commence à rétrécir, et ce de plus en plus vite. Toute la science et la médecine du monde semblent impuissantes face à ce phénomène, qui rendra Scott célèbre, alors qu’il devra s’adapter à un monde de géants et à de nouveaux dangers potentiels au sein de son propre foyer.
********** ATTENTION SPOILERS – MAIS L’ANALYSE EST COOL
Effets spéciaux et vraisemblances
Je t’entends déjà, toi, génération Y blasée par des années de CGI, critiquer les superpositions foireuses et l’attaque du félin géant, mais sache que les effets spéciaux utilisés dans ce film était tout simplement spectaculaires à l’époque. On parle de 1957, les amis (rappelle-toi le Godzilla de 1954).
Pour rester réaliste, Jack Arnold utilise énormément de perspective, surtout dans la première partie du film (ce qui lui confère un petit charme “rustique”) : contre-plongées et objets surdimensionnés se donnent la réplique afin de peu à peu faire rétrécir notre héros qui devient bientôt plus petit et léger qu’un enfant de 5 ans.
D’autres effets sont bien évidemment utilisés (par exemple, les gouttes d’eau géantes de la cave furent créées en remplissant des préservatifs d’eau et en les lâchant au dessus du sol) dont la superposition d’images, ce qui donne lieu à quelques scènes un peu foireuses (le coup de patte du chat à travers le monsieur ? euh…) que l’on pardonnera, bien sûr.
Si de nombreux détails sont pris en compte lors du processus, ce qui est assez bon pour l’époque, la fréquence de sa voix en revanche ne change pas lors de sa métamorphose. A mesure du rétrécissement de ses cordes vocales, la fréquence de sa voix aurait dû devenir de plus en plus élevée jusqu’à être inaudible à l’oreille humaine. Probablement un choix assumé afin de ne pas rendre ce héros trop ridicule ou de rester à son échelle, car au final, nous rétrécissons au même rythme que lui.
En revanche, l’araignée de la cave est certifiée 100% arachnide véritable, et ça se voit à sa manière de courir (berk), même si nous avons là une mygale (ou tarentule ? il y a dissention sur la nature de la bête) en lieu et place de “l’araignée domestique” généralement trouvée dans les foyers américains (nos bonnes vieilles tégénaires).
Un reflet des années 50
L’homme qui rétrécit est empreint de peurs collectives, à l’échelle des Etats-Unis, mais également du monde entier, dont certaines se reflètent d’ailleurs souvent dans le cinéma de l’époque.
Pour cette dernière, je parle bien évidemment de la terreur du nucléaire, à son paroxysme ou presque à la fin des années 50. De nombreuses oeuvres exploitent ce sentiment (dont Godzilla) à coup de bestioles exposées aux radiations. Nous sommes ici en 1957, et le monde vient d’essuyer le lancement des premiers sous-marins nucléaires (1954), l’implantation de la première centrale (1955) au Royaume-Uni et surtout, la crise du Canal de Suez de 1956, durant laquel l’URSS a menacé d’utiliser l’arme atomique et qui laisse présager des tensions de la suite (Cuba et compagnie au début des années 60).
Autant dire que cette menace est présente dans tous les esprits, et surtout aux Etats-Unis, en plein maccarthysme et propagande anti-communisme.
De surcroît, il est vraisemblable que l’occident commence à se rendre compte des effets de sa pollution, entre autres, par les pesticides. C’est en effet la combinaison de ces pesticides et d’un nuage empreint de radioactivité qui enclenchera le processus de rétrécissement de Scott.
Enfin, j’y vois personnellement un reflet des peurs de l’homme face aux débuts de l’émancipation de la femme. Pourtant, les années 50 sont pauvres en féminisme et il faudra attendre les années 60 pour voir un nouveau mouvement de libération.
Les hommes pressentent-t-ils ce mouvement ou le film est-il prémonitoire ? A mesure que l’ego de Scott, de même que sa taille, en prend un sacré coup, sa femme en vient à se détacher de lui, à le considérer comme mort, et finalement, de partir de la maison, donc de prendre son envol et son indépendance, en quelque sorte.
Un conte philosophique
Enfin, ce qui fait la force de l’oeuvre comparé à de nombreux simples film de science-fiction de l’époque (et d’aujourd’hui…), c’est sa dimension philosophique, clairement assumée lors du dénouement.
Cet homme, Scott Carey, est peu à peu dépouillé de son existence en tant qu’homme, puis qu’être humain : sa taille, ses vêtements habituels, sa femme, sa maison. Il est bientôt réduit à l’état d’enfant, puis de petrit animal, puis d’insecte.
Mais à mesure de sa déshumanisation, sa volonté ne se fait que plus farouche, ainsi que son instinct de survie. Il préserve au final sa dignité, envers et contre tout, ainsi qu’un mental d’acier, et en vient à mieux comprendre la nature du monde qui l’entoure. C’est au moment de sa rencontre avec les “little people” qu’il entend la phrase qui commencera ce processus de réflexion : “You are only as big as you feel”. C’est ainsi qu’iul comprend qu’il n’y a aucun sens à s’apitoyer sur sa taille, et que la grandeur n’a rien à voir avec la taille physique.
A la fin du film, après avoir réalisé qu’il n’y avait ni Bien, ni Mal dans l’univers, juste l’existence (l’araignée qui le pourchasse et passe de l’état de gibier à celui de chasseresse ne fait que poursuivre sa Nature), il se rend également compte que ce n’est qu’en embrassant sa destinée qu’il est libéré. Au sens propre, comme au sens figuré, il s’échappe de sa prison : la prison de la cave car il est assez petit pour passer entre les barreaux, et la prison des conventions de son esprit qui lui affirmait qu’il n’avait pas de place dans ce monde.
Cette fin, que l’on retrouve dans certains films de science-fiction des années 50, est un dénouement où la transcendance remplace la destruction. Scott réalise quelle est la place de l’Homme, alors que l’infiniment grand et l’infiniment petit se rejoignent dans un dernier plan où l’on peut observer les étoiles : à l’échelle de l’univers, la taille de l’Homme n’a pas de sens ; c’est simplement l’existence qui compte. Il ne disparait pas (“To God, there is no zero), il se contente de découvrir de nouveaux défis dans l’infiniment petit, et de peut-être devenir l’Homme du futur.
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