L’amour est aveugle (2010)
Ma note : 2/10, parce qu’on rigole bien
Toi là – que tu assumes complètement la fonte de ton cerveau devant les productions d’Endémol ou que tu consultes honteusement et furtivement mon article après avoir vérifié que tous tes collègues regardaient ailleurs – sache que tu es le/la bienvenu(e) dans cet espace neutre où nul ne te juge pour tes préférences télévisuelles.
Concernant la note, il est très difficile de se prononcer sur ce genre d’émission : plus elle est décérébrante, plus on rigole, pour peu que l’on prenne un peu de distance. Les télé-réalités devraient avoir leur propre système de notation en fait, puisque beaucoup de critères sont inversés. Finalement, dans ce contexte, L’Amour est aveugle recevrait peut-être un 7 ou 8/10, tant les candidats sont caricaturaux, les situations grotesques et les dénouements téléphonés.
Les véritables enjeux derrière la télé-réalité
Premièrement, sache qu’il est toujours intéressant de connaître les enjeux de diffusion de telles émissions sur une chaîne comme TF1. C’est pourquoi je te renvoie en toute modestie à deux articles, précédemment écrits de ma blanche main, explorant le phénomène des télé-réalités :
“Télé-réalité : on critique, mais on regarde quand même” : une explication psychologique maison de notre engouement pour les émissions de télé-réalité. Au programme : les messages derrière ces émissions et les bénéfices que nous en retirons.
Le temps de cerveau disponible (2010) : un documentaire consacré à la révolution de la télé-réalité, à son importance économique pour des chaînes comme TF1 et M6, ainsi qu’à ses conséquences psychologiques et sociologiques. Le reportage est inclus en version intégrale à la fin de l’article (et c’est un must-see).
Ce contexte établi, nous pouvons à présent reprendre les festivités. Veuillez éteindre vos neurones.
La nuit, l’ennui nuit (Claude Frisoni)
L’émission a été lancée pour la première fois en 2010, et a été reconduite pour une saison 2011 qui a débuté vendredi dernier.
Le principe de l’Amour est Aveugle est le suivant : des célibataires, hommes et femmes, font connaissance dans l’obscurité la plus totale. Ils choisissent ceux avec qui ils ressentent le plus d’affinités pour un “second date” en tête à tête, toujours dans le noir. A la fin de l’émission, ils ont l’occasion de se voir en pleine lumière et de décider s’ils veulent continuer l’aventure en couple avec l’autre personne, ou si son aspect physique les a trop déçus en dépit de leurs affinités.
Le tout, présenté par l’effrayant le bel Arnaud Lemaire, est conduit comme une sorte d’expérience sociologique : l’amour est-il aveugle, ou l’apparence physique compte-t-elle plus que tout ? (quel suspense, j’en frissonne d’anticipation)
Endémou
Ne nous voilons pas la face (note l’emploi de subtils jeux de mots relatifs à la cécité), l’Amour est aveugle fait partie de ce qui se fait de pire en matière de télé-réalité. En terme de principe, l’on a certes vu plus polémique (l’Île de la tentation, ou encore cette émission britannique mettant en scène une dissection en direct), mais en terme de qualité, d’authenticité et d’insulte à l’intelligence des téléspectateurs (ainsi que des participants), l’on atteint un niveau assez gratiné.
Le scénario est cousu de fil blanc et extrêmement répétitif (3 hommes, 3 femmes, ils se choisissent, second date, oh mon Dieu un 4è homme arrive c’est le beau gosse ultime ! oh mon Dieu pareil du côté des filles ! rebondissement à deux balles, ils se dessinent, ils se voient, scène du balcon, fin). Les scènes de “confessionnal” sont reprises au moins 3 ou 4 fois par émission, détournées, remixées et clairement sorties de leur contexte. Les défauts des candidats sont mis en exergue, et, comme dans toute télé réalité qui se respecte, seules les scènes les plus croustillantes seront retenues : un coup de sang, une tentative de drague, un râteau, un bisou, une expression un peu étrange (“J’m'appelle Caroline, comme la tortue hu hu”, “Si y’a pas de sentiments popol se lève pas”)…
En outre, l’on a eu vent de nombreux candidats se plaignant de la manipulation dont ils ont été victimes au sein de l’émission : l’on se rappelle tous du fameux Julien “le geek roux”, l’an dernier, coqueluche de la saison 2010, affirmant sur son blog que de nombreuses interventions étaient sorties de leur contexte et d’autres délibérément supprimées. Plus récemment, l’épisode de vendredi dernier a déjà provoqué l’ire du 4è candidat masculin : d’après lui, l’alcool coulait à flot pour désinhiber les candidats qui subissaient la pression de la production : “faut que tu sois plus entreprenant, sinon l’émission n’aura aucun intérêt”.
C’est du joli ma bonne dame.
Et pourtant, elle tourne…
En dépit de ce niveau consternant, l’émission connaît des taux d’audience indécents. Cette année, même si le premier épisode n’a pas fait un carton (3,2 millions) comme l’an dernier, 2,1 millions de téléspectateurs se sont installés devant. Pire encore, Twitter vibrait au rythme de l’émission à grand coups de jeux de mots laids, d’humour noir, de remarques perfides, de rigolade… Ce qui me rappelle soudainement que l’an dernier, les utilisateurs de Twitter en avaient tellement parlé que le hashtag #LAEA était monté en trending topic… mondial. C’est-à-dire (à peu de choses près) un des 10 sujets les plus récurrents au MONDE sur le réseau social sur une période de quelques heures.
Mais pourquoi ? POURQUOI ? [tomber à genoux et hurler sa rage vers les cieux]
Je ne sais pas pour toi, mais je pense que beaucoup de ces gens s’installent devant une telle émission le vendredi soir pour décompresser et rire un bon coup pour évacuer le stress de la semaine. L’être humain est une hyène en quête d’être plus faibles dont il peut se moquer et se rassurer sur sa propre intelligence en comparaison… “Dieu merci, je suis en couple”, “Dieu merci, je suis célibataire mais ne suis pas assez désespéré(e) pour participer à ce genre d’émissions”, “Dieu merci, je suis normal(e)“.
Malheureusement (ou heureusement ?) comme je l’évoquais plus haut, et comme la plupart d’entre nous le savent d’emblée : ces émissions sont probablement complètement manipulées, tant durant le tournage qu’en post-production ; les participants y vont, non pas pour trouver l’amour, mais pour passer à la télévision ou se faire de l’argent. Et, comme dirait un ancien candidat : “de toute façon, elle avait un mec, comme toutes les filles de l’émission”.