The Artist (2011)
Ma note : 8/10
L’auteur d’OSS 117 au nom improbable nous sort une jolie perle d’originalité. Michel Hazanavicius, grand amoureux du vieil Hollywood auquel il rendait déjà hommage dans La Classe Américaine en 1993, relate dans The Artist la déchéance d’un acteur du cinéma muet qui se trouve confronté à l’émergence du parlant. Son destin croisera celui de la fringante Peppy Miller, actrice fraîchement arrivée à Hollywood, et star émergente du nouveau cinéma américain. L’œuvre, muette et en noir et blanc, se veut un hommage à cette époque et révèle un Jean Dujardin un peu moins insupportable que d’habitude, qui y remporte le Prix d’interprétation masculine à Cannes 2011.
Les trois paragraphes de la honte
C’est ici que je t’avoue, les yeux baissés sous le poids du remords, que je suis une quiche en films d’époque. Je peux te citer les yeux fermés 50 films d’horreur faisant fondre le neurone ou encore la quasi-totalité des films américains de fantasy des années 90 et 2000.
Mais je n’ai pas vu un seul film muet. Pas un Chaplin, pas un Nosferatu, pas un Buñuel, Griffith ou Méliès. Je n’ai pas vu l’Aurore de Murnau ou Metropolis de Fritz Lang. Je suis également notoirement inculte en ce qui concerne les vieilles comédies musicales en noir et blanc (Chantons sous la pluie ? Ah oui, à voir…). Et même si j’en connais le principe, je n’ai pas non plus regardé La Classe Américaine, du même Michel Hazanavicius qui nous livre à présent The Artist.
Ce contexte posé, je peux à présent me lancer dans un périlleux exercice : la critique d’un film dont je ne relèverai pas les références à toutes ces œuvres, faute de connaissances. Pour m’en sortir avec une pirouette, je vais appeler ça : le regard issu de l’œil neuf d’une béotienne non contaminée par sa connaissance des films d’époque. Promis, je me soigne au plus vite.
L’assourdissant silence environnant
Ceux qui comme moi sont allés voir The Artist ont fait l’expérience de l’ampleur du chaos sonore et du sans-gêne des spectateurs d’une salle de cinéma. Lorsqu’un film muet est à l’écran, porté seulement par les envolées sonores d’un orchestre classique, on se coltine malgré nous tous les bruissements de nos voisins.
Pour ma part, j’ai noté entre autres : des toussotements, des éternuements, des mouchages, de la mastication, des soupirs, l’insupportable respiration sifflante de ma voisine de droite qui a échappé de peu au meurtre, une sonnerie de téléphone au cœur d’une scène cruciale et émotionnelle. Et surtout, le pop-corn.
Ce satané pop-corn. Non mais qui a eu l’idée de vendre du pop-corn au cinéma ?
Le silence est d’or
Ce que l’on réalise également en visionnant ce film est à quel point nous faisons facilement abstraction du jeu des acteurs et sommes en quelque sorte contaminés par le son qui rend presque les choses trop faciles pour acteurs et cinéastes. Une petite explosion, un jeu de mots débile débité par un acteur au regard vitreux, et le tour est joué.
Créer un film muet dans ce contexte, et faire en sorte d’intéresser des spectateurs habitués à subir des sollicitations sonores de toutes parts, que ce soit des publicités à la télévision ou de la cacophonie citadine à laquelle nous avons droit quotidiennement, demeurait un challenge et The Artist le relève avec un succès appréciable. Personnellement, je ne me suis pas ennuyée une seconde (et pourtant, je suis la digital-native typique avec un œil sur Twitter, l’autre sur ma télé, et, rappelons-le mais pas trop, une ignorance crasse des films d’époque). J’ai retenu mon souffle, j’ai ri de soulagement, j’ai essuyé une larmichette, et j’ai souri béatement.
Dernier détail qui achèvera peut-être de te convaincre (ou pas) : l’on commence à entendre des rumeurs d’oscars autour de ce film.
********** SPOILERS DANS LA SUITE, AVOIR VU LE FILM **********
Le silence obstiné de George Valentin
Je me suis amusée à repérer les métaphores faisant état des personnalités et destins croisés de nos deux personnages principaux : George Valentin et Peppy Miller.
Arrogant, fier, George est un homme narcissique qui refuse de se laisser influencer par le monde qui l’entoure. Il est à lui seul la métaphore d’un pays en crise à la veille de 1929 qui s’adapte mal à la modernisation. La toute première scène du film n’aura échappé à personne, dans laquelle il interprète un homme torturé qui refuse de parler quel que soit le traitement infligé : “I won’t talk ! I won’t say a word !”. Cette attitude, qui flirte avec l’appréhension, voire la peur, est rappelée de nombreuses fois à travers l’œuvre :
- la scène du cauchemar dans laquelle George est entouré d’éléments bruyants et se retrouve aphone ; incapable de communiquer et victime d’un environnement agressif ;
- l’intervention poignante de sa femme : “why won’t you talk to me ?” qui finit par lui valoir d’être quitté ;
- son incompréhension du policier qui lui adresse la parole, et la crise de panique qui s’ensuit : il se couvre la bouche (censure ou horreur ?) puis les oreilles ;
- et sa manière de laisser sa place, de manière figurative et concrète, par arrogance dans les deux cas, à celle qui contribuera à sa chute malgré elle : Peppy Miller. La scène du restaurant est extrêmement importante et marque un tournant dans le destin des deux héros.
Crossed stars
A bien des niveaux, George est responsable de sa propre perte. Il refuse de s’adapter, certes, mais a également créé celle qui le fera passer pour un vieux ringard. Il a retenu la demoiselle sur le plateau de son premier film. C’est lui qui, en dessinant un grain de beauté sur le coin de la bouche de Peppy, la rendra “spéciale”, en lui conférant un détail que les autres n’ont pas.
L’ironie de ce détail est à son apogée lors de la sortie de “Beauty Spot”, le film marquant l’explosion de la carrière de Peppy et, par la même occasion, du cinéma parlant reléguant les vieux acteurs du muet au placard. La jeune fille marque la différence et son attitude même est symbolique lorsqu’elle vient voir George à sa porte, sous la pluie, et lui dit : “I came to talk to you”.
Leurs rencontres sont souvent furtives, comme deux personnes qui se croisent dans la rue mais n’ont jamais le temps de se parler. Leur première danse n’en est pas vraiment une mais plutôt un passage de George qui continue plus loin dans la salle de bal. Pourtant, à mesure des scènes, elle le retient. Comme si elle le ralentissait et l’empêcher d’avancer plus loin dans sa carrière. Leur rencontre dans l’escalier marque un instant crucial : George descend les escaliers, elle les monte : comme les marches du succès. Lorsqu’ils se parlent, elle est au-dessus de lui, une star en devenir qui continue son ascension. Et lui ne fera que descendre des escaliers pendant le reste du film. Et être happé par des sables mouvants dans lesquels il disparaîtra.
Tout comme dans son film Guardian Angel, Peppy est en quelque sorte l’ange gardien de George. Elle sera en partie responsable de sa perte et lui prendra tout (que ce soit sa carrière, ou ses affaires mises en enchère juste avant qu’il n’ait “plus rien”) mais sera toujours là pour l’empêcher de commettre le pire. Et les Tears of Love du dernier flop muet de George ? Ce sont les siennes, bien entendu.
Toute comme la danse les a fait se rencontrer, c’est également elle qui finira par les réunir. Une autre manière de communiquer (oui bon, c’est un beau film, on n’a jamais dit que c’était un film subtil).
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Tu es peut-être une quiche en films muets, mais tu es incollable sur West Side Story (I feel prrrrrrrretty !!! what is going on with you Maria ?).
Hum, pour éviter le total HS, ta critique me confirme dans mon envie d’aller voir le film (ouf, j’ai résisté à l’envie de lire le spoiler). -
Je ne comprend pas cet engoument pour ce film. Film en noir et blanc avec des claquettes d’accord et alors de nombreux anciens films le sont et on n’en fait pas un patacaisse (expression plus utilisé depuis 1782)
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